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La synthèse
Barnier censuré : quelles conséquences pour l’immobilier ?
À situation inédite, loi spéciale
Pour ne pas paralyser le fonctionnement des services publics français du fait de l’impossibilité d’adopter d’ici le 31 décembre 2024 une loi de finances pour 2025, un projet de loi spéciale a été voté à l’unanimité par le Sénat et, le 18 décembre 2024, par l’Assemblée nationale (JO 21 déc.). Cette loi est composée de quatre articles : le premier pour percevoir les impôts; le deuxième et le troisième sont relatifs à l’emprunt sur les marchés pour l’Agence France Trésor. L’ensemble doit s’opérer dans un budget d’ores et déjà connu : celui de 2024. Mais pour rappel, ces autorisations budgétaires ne sont accordées que jusqu’à l’entrée en vigueur de la future loi de finances pour 2025, un texte dont le vote a été annoncé par le président de la République avant même la formation du nouveau gouvernement. Une annonce jugée risquée par Pierre Bouchacourt, directeur associé du cabinet Lysios Public Affairs : « Ce n’est pas demain la veille, de mon point de vue, que nous allons pouvoir voter un projet de loi de finances pour l’année 2025. Ça va être très compliqué (…) Le seul PLF qui pourrait être voté, c’est celui qui prévoirait la baisse des impôts et qui, en un même temps, augmenterait les dépenses publiques. C’est le seul projet sur lequel les députés aujourd’hui seraient prêts à s’entendre. (…) La situation post-Barnier est la même que celle pré-Barnier ». Une opinion partagée par Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, professeur associé à Paris Sorbonne. Ce dernier rappelle que le nouveau Premier ministre, François Bayrou – qui bénéfice d’une côte de confiance relativement faible – est embarqué dans « un système de contraintes qui est directement issu des élections législatives du mois de juillet dernier. (…) Pour la première fois sous la Ve République, nous n’avons pas la capacité à l’Assemblée nationale de pouvoir assurer une majorité, y compris relative, à un gouvernement qui pourrait s’installer dans la durée ».
De la nécessité d’un management politique habile pour garantir la stabilité
Arnaud Benedetti alerte : « Ce qui se joue, (…) c’est la survie des institutions. (…) Les institutions de la Ve République ont amorti toutes les crises politiques, sociales, économiques et géopolitiques que le pays a traversées. Mais elles ont amorti finalement ces crises pour une raison simple : elles permettaient de fabriquer des majorités. C’est le principe fondamental. Et aujourd’hui, le problème, c’est qu’on se retrouve dans une situation politique où l’on n’est plus capable de fabriquer une majorité ».
Pour le politologue, la tâche de François Bayrou n’a pas été aisée pour constituer un gouvernement et elle ne semble pas s’annoncer plus aisée pour faire voter un programme législatif. Si Michel Barnier (LR) jouissait d’être vu comme appartenant à l’opposition, tel n’est pas le cas de son successeur. François Bayrou se doit « d’essayer d’avoir une base parlementaire qui soit plus élargie que celle de Barnier », indique Arnaud Benedetti. Pour lui, le Premier ministre devra relever deux défis : « s’assurer du soutien des LR et (…) de la neutralité du RN. (…) Le RN a besoin de crédibilité, le nouveau Premier ministre, de ce point de vue-là, a une fenêtre d’opportunité. Mais il doit obtenir aussi une neutralité minimum d’une partie du nouveau Front populaire, et notamment des socialistes ».
Est ainsi annoncée une politique managériale difficile, et d’autant plus fragilisée par des ambitions avouées (ou non) des politiques (tous bords confondus) qui tendent toutes vers le souhait de voir avancer le calendrier électoral des prochaines présidentielles. À cela s’ajoute : « l’incapacité presque idéologique et structurelle que ces gens-là puissent s’entendre. (…) Soit vous avez une coalition qui est large, mais elle ne va survivre qu’au prix d’une forme d’immobilisme. (…) Soit la coalition est moins large avec une certaine cohérence idéologique. C’était celle de monsieur Barnier mais il y avait des désaccords sur le budget entre lui et une partie du socle commun. (…) Soit vous avez une cohérence idéologique, mais vous n’avez pas la majorité et vous vous exposez, à tout moment, à une motion de censure. Et comme on n’a pas la culture du compromis dans cette Ve République, l’exercice est plus difficile », dénonce Arnaud Benedetti. Quant au gel annoncé par les politiques d’un certain nombre d’outils constitutionnels (non-recours au 49.3, absence de vote d’une motion ou non-dissolution de l’Assemblée nationale au bout d’un an par le président de la République) pour permettre une certaine stabilité et assurer le bon fonctionnement des institutions, il n’y croit pas : « Cela serait contraire au bon sens constitutionnel. (…) Tout ce qui vise à geler les outils constitutionnels me paraît relever beaucoup plus de la communication politique ou de la rhétorique que de la réalité institutionnelle et de la réalité politique. »
De la mise en œuvre de stratégies législatives pour apaiser les inquiétudes
Un gouvernement censuré pour avoir proposé un budget d’austérité, un recours à une loi spéciale, une valse de quatre Premiers ministres en un an… Comme le relève Pierre Bouchacourt : « On vit une situation inédite. (…) et je comprends que dans cette situation, les professionnels de l’immobilier soient inquiets, d’autant, (…) que dans ce PLF, il y avait de bonnes choses et de moins bonnes mais, au moins, on sortait d’une situation stressante pour le milieu de l’immobilier ». Pour mémoire, parmi les mesures envisagées, figuraient notamment : en matière de défiscalisation, l’extension du dispositif PTZ pour combler la fin du Pinel au 31 décembre 2024 ; l’exonération des droits de mutation à titre gratuit en cas de financement de projets de réhabilitation ou de construction de logement neuf ; l’exonération des droits de cession en cas de primo-accession ; la prolongation du dispositif Loc’Avantages ; la transformation de l’IFI en une taxe sur la fortune immobilière improductive, etc.
À ce jour stoppées, ces mesures pourraient être relancées à l’initiative de députés. Tel serait le cas de la proposition de loi de Bastien Marchive (parti radical) et d’Inaki Echaniz (parti socialiste) pour remédier à l’interdiction de location des logements classés G à compter du 1er janvier 2025. Ce texte d’origine permettait aussi de suspendre l’obligation de décence énergétique le temps de la réalisation des travaux lorsqu’ils ont été votés par le syndic de copropriété. Aujourd’hui abandonnée, la proposition devrait être portée courant janvier, selon les dires de Pierre Bouchacourt, et aurait un effet rétroactif.
Deux stratégies pourraient être mises en œuvre pour palier l’éventuelle lenteur ou impossibilité de voter un PLF. « La première, c’est de faire des petites lois intéressant les Français, par exemple, pour reprendre la disposition sur le PTZ, les aides pour les agriculteurs, Mayotte… C’est plutôt la volonté du président de la Commission des finances, Éric Coquerel (La France insoumise). (…) La seconde qui, à mon avis, est techniquement la meilleure. Elle donne la possibilité d’utiliser la procédure de diverses dispositions d’ordre financier. Ce sont des petites lois qu’on peut voter en une semaine sur des sujets financiers (…). C’est ce qui a été exprimé aujourd’hui par les parlementaires qui s’intéressent en particulier au sujet de l’écosystème de l’immobilier, dont François Jolivet (Horizons & Indépendants), et qui ont bien conscience de l’urgence ».
De l’anticipation des marchés financiers à la nécessité de mettre en place un dispositif de défiscalisation
Comme le souligne Arnaud Benedetti : « L’instabilité n’est pas propice aux affaires, à l’économie, à la confiance ». Toutefois, les marchés financiers l’ayant anticipé, les taux d’intérêt ont continué à baisser : « Ce mois-ci, on assiste à une baisse de taux de l’ordre de 10 à 15 centimes sur l’ensemble des tranches de durée pour le crédit immobilier, ce qui permet d’obtenir un prêt à 3,35 ou 3,40 % en moyenne sur 20 ans, voire un financement à moins de 3 % », confie Pierre de Buhren, directeur général du groupe Empruntis qui estime que cette baisse aura pour limite le plancher de base des OAT (obligations assimilables du Trésor) qui est à 3 %. Pour le courtier, ce plancher n’est pas « une excellente nouvelle pour la reprise des transactions. Toutefois c’est un taux assez sain. La période qui prévalait avec les taux négatifs était atypique en soi. (…) Le pire des scénarios serait de s’enliser dans des discussions interminables qui font que, progressivement, on voit dériver l’OAT par rapport aux autres États membres de l’Union européenne. En novembre, on a vu la France qui, pendant quelques heures, s’est endettée plus cher que la Grèce. Je pense que cela a eu l’effet d’un électrochoc ». Ainsi, le niveau de production du crédit immobilier ne devrait plus être de l’ordre 6,9 milliards, comme en mars 2024 (il était à 20 milliards en mars 2022) : « En octobre, on est remonté au-dessus des 10 milliards (…). La masse de crédit immobilier devrait arriver légèrement en-dessous de 110 milliards cette année », estime Pierre de Buhren. Si les banques sont assez favorables pour accorder des crédits (y compris pour financer des projets de rénovation énergétique), cela ne résout pas tous les problèmes pour le marché de l’immobilier. Selon les Notaires de France, le nombre de transactions pour l’année 2024 est tombé à 780 000, soit une baisse de 17 % et l’absence de logement neuf demeure le plus gros obstacle à la reprise : « L’absence de neuf gèle, en partie, la seconde accession. (…) En outre, on évoque avec regret le paquet budgétaire qui était prévu par monsieur Barnier mais ce n’était pas la panacée. Je pense qu’on avait quelques mesures qui étaient là, qui permettaient de donner un petit coup de fouet. Mais l’absence de dispositif de type Pinel va quand même être un sujet pour les 2 ou 3 prochaines années. Je rappelle que le dispositif Pinel représente 50 % des ventes de logements neufs. (…) Il va falloir, d’une manière ou d’une autre, que le gouvernement ait le courage de remettre en œuvre l’appareil productif de logement neuf, parce que c’est bien cela qui crée l’absence totale d’oxygène sur le marché », avise Pierre de Buhren.
De la pugnacité des lobbyistes et des politiques
Si des mesures sont clairement attendues pour relancer le marché de l’immobilier, encore faut-il qu’elles puissent être soutenues par des députés car, comme le clame Arnaud Benedetti, il ne faut pas perdre de vue que : « le pouvoir est passé du côté du Parlement ». Entrent alors en scène les lobbystes dont le métier a beaucoup évolué, comme en atteste Pierre Bouchacourt : « Auparavant, il suffisait, législature après législature, de bien connaître les quelques députés spécialistes du logement. Il y avait par ailleurs des majorités acquises. (…) Cette habitude s’est arrêtée en 2017 avec l’arrivée du président de la République pour deux raisons. La première est que les questions de logement n’étaient pas prioritaires au sein de l’exécutif. La seconde, c’est qu’on se retrouve avec 350 nouveaux députés, dont des primo-députés, voire des primo-politiques, qui ne connaissent rien au monde de la politique. (…) Il a fallu créer des liens avec de jeunes parlementaires, les rendre appétents aux questions de l’immobilier. » Et l’absence de majorité à l’Assemblée nationale implique que les lobbystes doivent convaincre plusieurs groupes pour faire en sorte qu’une proposition de loi transpartisane ait une chance d’être votée. Mais Pierre Bouchacourt se veut rassurant : « malgré cette instabilité, on peut trouver des solutions. (…) Et je vous donne mon billet que les constitutionnalistes, les parlementaires vont trouver tout un tas de ressources dans le règlement intérieur du Parlement, dans les lois d’orientation budgétaire, de finances publiques, pour inventer des choses qu’on n’imagine même pas encore pour pouvoir faire passer des dispositifs qui sont des dispositifs importants pour la filière de l’immobilier ».
Henry Buzy-Cazaux, animateur et secrétaire général du Cercle, ajoute une information : à son initiative et à celle conjointe du directeur de la publication de la Revue politique et parlementaire, la création d’un espace de dialogue permanent entre parlementaires de toutes sensibilités intéressés par la cause du logement, inauguré le 18 décembre, sous le nom de « République et logement ».
Les enjeux
Mercredi 4 décembre à 20h30, le dépouillement du vote par l’Assemblée nationale de la motion de censure du gouvernement est sans appel: 331 voix, une large majorité par conséquent, ont exprimé la volonté de renverser Michel Barnier, qui présentera sa démission au Président de la République dès le lendemain matin, acceptée par Emmanuel Macron. C’est un séisme dans notre République. Le pays tout entier s’interroge sur son avenir à court terme. Un nouveau gouvernement, mais constitué à grand peine, et pas de budget pour 2025, ni plus aucun projet de loi de quelque nature que ce soit.
L’immobilier, entre tous les secteurs d’activité, était sans conteste avant cet épisode l’un de ceux qui espéraient le plus dans des mesures de nature à le relancer, au profit des ménages français.
- Quels impacts immédiats pour cette filière ?
- Le projet de budget peut-il réapparaître ? Selon quelle procédure ?
- Une majorité pourrait-elle se dégager sur ce sujet ?
- Les marchés internationaux vont-ils nous marquer de la défiance, conduisant à une hausse des taux d’intérêt ?
- L’envie des Français d’investir dans le logement va-t-elle s’émousser dans ce contexte ?
- Les entreprises immobilières peuvent-elles résister à un report de la reprise ?
Pour tenter de répondre à toutes ces questions, des experts de la décision publique, de l’économie et du crédit nous feront partager leurs analyses concrètes et nous donneront des repères dans le brouillard ambiant.
Les intervenants
- Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, professeur associé à Paris Sorbonne
- Pierre Bouchacourt, directeur associé du cabinet Lysios Public Affairs
- Pierre de Buhren, directeur général du groupe Empruntis
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle.
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