Juin 10

Logement des salariés : quelle intervention directe des entreprises ? – Mardi 10 juin 2025

Le replay

La synthèse

L’innovation parlementaire au service de la politique publique du logement

Le 18 mars 2025 a été déposée à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à renforcer le pouvoir d’achat des salariés primo-accédants. Transpartisane, la proposition est soutenue par 55 députés qui ont souhaité répondre aux difficultés rencontrées par les entreprises situées dans les territoires en tension pour recruter et fidéliser les salariés. Les députés souhaitent innover pour accroitre les chances d’accès au logement et soutenir l’économie nationale. En effet, l’impossibilité de se loger ou d’accéder à la propriété a un impact direct sur l’économie : « Dans les Landes – département où l’emploi saisonnier est important –, 40% des postes sont vacants ; (…) au niveau national, c’est un peu plus de 20%. (…) Et pour la 1re fois de notre histoire, le nombre de primo-accédant baisse », illustre Lionel Causse, député des Landes, cosignataire de la proposition de loi. Un constat qu’explique Mickaël Le Nezet, président du directoire de la Société financière pour l’accession à la propriété (SOFIAP) : « Quand vous regardez l’évolution du prix du mètre carré, même si cela a un petit peu baissé en 2024 (mais c’est en train de repartir à la hausse), depuis les années 2000, on constate que le prix a été multiplié par 2,6. Or les salaires c’est seulement 1,7. Le niveau de prix est tel aujourd’hui que l’achat d’une maison, d’un appartement de grande taille est inaccessible pour une grande partie des salariés ». 

Le prêt subventionné : l’effet levier gagnant pour la filière immobilière, les salariés et l’État

Le dispositif envisagé par la proposition de loi repose sur la mécanique d’un prêt subventionné, qui se caractérise par le fait que les intérêts du taux du crédit immobilier sont pris en charge par l’employeur, en partie ou en totalité. Mickaël Le Nezet fait valoir que « le prêt subventionné est un levier. (…) Il permet d’attirer des talents ou de fidéliser des collaborateurs. Il permet d’assurer un logement au plus proche du lieu d’exercice du travail (et éviter les frais de déplacement) ou de garantir (…)  des conditions de télétravail correctes ». Le prêt subventionné est déjà proposé par la SOFIAP, et est une solution adoptée par des sociétés du CAC 40 ou des PME : « On couvre aujourd’hui à peu près une quarantaine d’entreprises pour à peu près 580 000 salariés potentiels ».  Ainsi, au sein d’EDF, par exemple, le prêt subventionné a été une solution pour encourager la mobilité géographique. Pour MG2MIX (firme spécialisée dans la fabrication de prémélanges essentiels à la nutrition animale), il a été un allié pour sédentariser les salariés, leur offrir un logement à 30 km de leur lieu de travail et les faire revenir sur site pour relancer les interactions indispensables en R&D. Quant à Safran Power Unit, une des sept filiales de Safran, elle a su fédérer les objectifs emploi-logement à l’obligation environnementale puisqu’elle aide ses salariés à hauteur de 1 % de 200 000 euros si le bien acheté a un DEP inférieur à D (à défaut, l’aide est de 0, 75 %). 

Le dispositif envisagé par la proposition de loi viendrait compléter le panel déjà existant d’aides à l’accès à la propriété comme le prêt à taux zéro (PTZ) ou le 1 % logement (financé par la PEEC versée par les entreprises de plus de 50 salariés), portés par Action Logement, ou le plan d’épargne entreprise (PEE). 

Il aurait pour effet de permettre aux entreprises de bénéficier du gel des cotisations sociales (NDRL : s’élevant à 55 %), hors CSG, CRDS et forfait social à 20 % sur les sommes versées chaque mois pour la prise en charge d’une partie ou de la totalité́ des intérêts du coût du crédit immobilier du salarié primo-accédant. Le texte prévoit que la prise en charge des intérêts du taux pour l’achat d’une résidence principale pour un salarié primo-accédant ne pourra excéder 3 709,44 euros par an (soit 8 % du plafond annuel de la sécurité́ sociale), plafond déjà retenu dans le cadre d’un PEE). « Chaque entreprise sera libre de recourir ou non à cette possibilité. (…)  Cela relèvera d’une négociation interne à l’entreprise, qui définira les conditions. (…) C’est une offre qui sera accessible à tout type d’entreprise, quelle que soit sa taille », précise le député Lionel Causse. Concrètement, si une entreprise décide de prendre 1 % de 100 000 euros pendant toute la période où le salarié est dans l’entreprise, cette dernière va payer 1 % du taux d’intérêt : « J ’emprunte aujourd’hui sur 20 ans à 3,5 %, je paierai 2,5 % en tant que salarié et mon entreprise paiera 1 % », illustre Mickaël Le Neze.  Précision : le salarié reste propriétaire du bien, même lorsqu’il décide de quitter l’entreprise.

Lionel Causse souligne qu’il a consulté les représentants locaux du patronat qui approuvent l’innovation. De même, les grands groupes d’entreprises, qui disposent pourtant déjà d’un parc immobilier (comme, la RATP), soutiennent l’initiative. 

Mickaël Le Nezet estime que la proposition de loi dépasse le cadre de la SOFIAP. Il rappelle que toutes les banques aujourd’hui publient des rapports stratégiques ou des plans moyen terme incluant le sujet du logement. Aussi, les établissements bancaires vont-ils accueillir favorablement ce dispositif : « Il ne faut pas oublier que c’est une façon d’alléger la pression qui pèse sur les salariés. (…)  Quand une entreprise prend 1 % à sa charge c’est 10 % de capacité de financement supplémentaire pour le salarié. C’est un levier supplémentaire d’accord ».

Le texte devrait être inscrit à l’automne pour être discuté à l’Assemblée nationale, à moins que le gouvernement décide, d’ici fin juillet, d’intégrer le dispositif dans le PLFSS 2026 : « Tout ce qui nous importe c’est le résultat, peu importe le chemin qui sera pris », fait savoir Lionel Causse, avant d’ajouter : « Avec mes collègues, on porte une proposition de loi qui devrait rapporter de l’argent à l’État. (…) Bercy et Matignon seront convaincus de cet intérêt, j’ose espérer ». Mickaël Le Nezet espère aussi que le gouvernement sera sensible à l’effet positif que pourrait apporter cette défiscalisation partielle sur toute la filière immobilière : « Et cela profiterait aussi aux salariés qui auraient enfin les moyens d’acquérir (…), et donc de constituer un patrimoine. Quand on tire le fil du raisonnement jusqu’au bout, c’est aussi une solution pour traiter le vieillissement de la population parce que quand on est propriétaire, on a un capital qu’on peut mobiliser pour gérer “son vieillissement” ».

L’usufruit locatif social (ULS) : l’autre innovation au service des salariés

Favoriser l’accès au logement est le cœur d’activité du groupe PERL. La société propose, depuis 25 ans, une solution fondée sur l’usufruit locatif qui permet la production de logements à loyers abordables sur l’ensemble du territoire, et notamment ceux en tension. « Depuis 25 ans, on a opéré à peu près 12 000 logements et (…) aidé à la reconstitution de la pleine propriété pour 1 000 clients. (…) On a fait un important travail de pédagogie depuis 2017, date de notre première reconstitution de pleine propriété, en allant voir l’ensemble des acteurs et des parties prenantes de ces opérations : l’investisseur du propriétaire, (…) le réseau de distribution qui nous permet d’accéder à cette clientèle d’investisseurs, (…) l’usufruitier qui a géré les biens pendant 15 ou 17 ans, (…)  les pouvoirs publics (que ce soient les services de l’État ou les communes) », expose Nicolas de Bucy, le directeur général.

Cette initiative, qui a fait ces preuves, n’est pas sans rappeler la proposition de loi portant création d’un usufruit locatif social employeur déposée à l’Assemblée nationale, en avril 2023, par l’ancien député Dominique Da Silva. Sur la base du volontariat, les employeurs étaient invités à investir dans la nue-propriété de biens pour loger leurs employés dans des logements produits suivant les modalités de l’ULS. La proposition, jugée trop complexe, n’a pas été retenue. Pour autant, elle pourrait être prochainement relancée, notamment pour soutenir des employeurs situés dans les territoires sensibles qui ne disposent pas d’une puissance financière suffisante pour acquérir en plein propriété des biens destinés à leurs salariés.

L’un des points de discussion pourrait porter sur le devenir du bien en cas de départ du salarié (volontaire ou non). Pour mémoire, en son temps, la proposition de loi prévoyait qu’en cas de rupture de la relation contractuelle, le contrat de location était résilié de plein droit. Le salarié disposait alors d’un délai de 3 mois pour quitter les lieux s’il était à l’origine de la rupture (6 mois si la rupture émanait d’une décision de l’employeur) : « Il y a deux sujets de fond sur lesquels nous, les parlementaires, allons devoir nous positionner. Le premier porte sur la rupture du lien entre employeurs et employés. (…) Il implique de revoir le parcours résidentiel. Le second, porte sur le lien avec Action Logement : il y a eu des débats quand Dominique Da Silva avait présenté sa PPL. Il y a toujours des débats parce qu’il est vrai qu’Action Logement est un acteur incontournable qui innove (2 600 000 de logements sociaux aujourd’hui). C’est un système universel. (…) On proposerait ici des solutions supplémentaires. Il ne faut pas qu’une innovation que l’on voudrait d’un côté vienne déstabiliser l’autre côté, au risque d’échouer », alerte Lionel Causse, qui appelle au débat législatif pour éclaircir le rôle de chacun et proposer un système d’aides à l’accession à la propriété à la carte. Nicolas de Bucy confirme que la volonté n’est pas de se substituer à Action Logement et admet qu’il faudrait qu’il relance le dialogue avec les élus pour porter cet ancien projet sur le devant de la scène parlementaire.

Enjeux

Le lien entre emploi et logement en France est devenu douloureux, au point de pénaliser le développement économique du pays. Notre réindustrialisation est freinée par la difficulté des entreprises de trouver des solutions de logement pour les collaborateurs dont elles ont besoin. Les sociétés de service rencontrent les mêmes problèmes au moment de s’établir sur les territoires ou de s’y maintenir. Même si certaines zones sont plus atteintes que d’autres par ce mal, c’est désormais l’ensemble des communes attractives qui en pâtissent, les métropoles bien sûr, les communes littorales mais aussi la plupart des villes moyennes et la ruralité.

Certes, la France s’est très tôt dotée d’un outil majeur pour répondre aux besoins en logement des salariés, une contribution obligatoire des entreprises les plus importantes, permettant de flécher une offre vers les ménages actifs, et également de développer des produits et des services à destination des forces vives, les jeunes en particulier. Malgré ce dispositif puissant, la France peine à équilibrer les attentes de ses salariés et les solutions logement disponibles sur les territoires. Au point que les entreprises, non seulement les plus grandes, sont prêtes à intervenir directement pour loger leurs équipes. C’est d’ailleurs un réflexe qu’elles ont eu par le passé, et avec lequel elles renouent, avec des formules originales. Plusieurs initiatives politiques voient le jour dans ce sens, pour favoriser l’implication des entreprises dans le logement de leurs salariés.

  • De quelles solutions s’agit-il ?
  • Quelles entreprises sont-elles concernées ?
  • Ces initiatives ont-elles des chances de se concrétiser au plan législatif ?
  • Faut-il en passer par la loi ?
  • Quelle articulation avec les moyens existants, pilotés par Action Logement ?
  • Ces innovations sont-elles anecdotiques ou peuvent-elles apporter des réponses de masse ?
  • À quelle échéance, alors que l’urgence est là, identifiée par le MEDEF et la CPME avec la même acuité ? 

Les intervenants

  • Lionel Causse, député des Landes, cosignataire de la proportion de loi tendant à faciliter l’aide à l’accession à la propriété des salariés par les entreprises
  • Nicolas de Bucy, directeur général du groupe PERL
  • Mickaël Le Nezet, président du directoire de la SOFIAP

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers.

Lionel CAUSSE
Député Renaissance des Landes, ancien président du Conseil national de l’habitat
Nicolas de Bucy
Directeur général du groupe PERL
Mickaël Le Nezet
Président du directoire de la SOFIAP