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Synthèse
Un projet de loi au devenir incertain
« Ce texte est un paradoxe total, depuis le début et jusqu’à la fin. Déjà dans son titre : ce texte de simplification de la vie économique est tout sauf simple, à la fois sur le plan politique et sur le plan législatif », dénonce Geneviève Salsat, présidente de Public Conseil, spécialiste d’affaires publiques.
Sur le plan législatif, d’une part, c’est la procédure accélérée (une lecture seulement dans chaque assemblée parlementaire) pour le vote de ce projet de loi qui avait été retenue. Mais il s‘est écoulé 15 mois entre « son dépôt, au Sénat, date du 24 avril 2024 et sa lecture à l’Assemblée du 17 juin 2025. (…) La commission mixte paritaire (CMP) – au cours de laquelle sont réunis sept sénateurs et sept députés qui examinent les articles qui n’ont pas été votés conformes – doit se réunir. Or, j’ai appelé le service de la séance du Sénat et de l’Assemblée, il n’y a pas de date », révèle Geneviève Salsat. Une session extraordinaire de Parlement pourrait avoir lieu en septembre. Toutefois Geneviève Salsat estime qu’il paraît difficile que l’examen du texte par le Parlement puisse intervenir avant 2026, les discussions de la fin d’année portant sur le vote des PLF et PLFSS. En outre, en cas d’échec de la CMP, le texte repartira en navette (ce qui implique : une deuxième lecture au Sénat, une deuxième lecture à l’Assemblée nationale puis une lecture définitive à l’Assemblée nationale).
Sur le plan politique d’autre part, le texte était à l’origine souhaité par Emmanuel Macron, et son dépôt soutenu par son parti Ensemble pour la République. En raison des nombreux amendements dont le texte a fait l’objet, le parti macroniste a voté contre et le Rassemblement national (RN) pour. « Il y a eu un renversement total de la vision politique du sujet (…). Et le parti macroniste a mis en cause le service de la séance de l’Assemblée nationale, (…) ayant considéré que des amendements n’étaient pas recevables alors que le service de la séance les avait déclarés comme tels », explique Geneviève Salsat avant de rappeler qu’une fois le texte adopté, la seule issue pour le contrer sera un recours devant le Conseil constitutionnel.
Des dispositions inopinées relatives aux baux commerciaux
Introduites inopinément dans le projet de loi, des dispositions viennent bouleverser les grands principes de la législation relative aux baux commerciaux et, par là-même, l’équilibre du marché.
Ainsi, l’article 24 du projet de loi vient modifier le code de commerce à plus d’un titre.
Tout d’abord, est ajouté un article L. 145-32-1 qui rend de droit la mensualisation du paiement des loyers, et rompt avec la pratique du paiement trimestriel d’avance. Le preneur à bail d’un local destiné à l’exercice d’une activité de commerce de détail ou de gros, ou de prestations de service à caractère commercial ou artisanal devra toutefois en faire la demande. Valérie Ouazan, avocat à la Cour et associée du cabinet Jacquin Maruani, relève que le Sénat a supprimé la disposition qui prévoyait que la mensualisation était possible uniquement dans le cas où le preneur était être à jour du paiement de ses loyers : « La mensualisation (…) va être possible pour tout type de preneur. (…) On ne comprend pas pourquoi cette condition a été supprimée mais on comprend l’importance de cette suppression en pratique ». L’avocate souligne aussi que le texte adopte une définition plus large de la notion de local que celle retenue par l’article 231 ter du code général des impôts qui exclut du régime des baux commerciaux les entrepôts et les bureaux : « L’amendement déposé consistait à l’uniformisation de la notion, (…) ce qui n’a pas été pris en compte par l’Assemblée nationale ».
Ensuite, l’article 24 du projet insère un nouvel article L. 145-38-1 qui prévoit l’ajout dans le bail d’une clause d’indexation ayant pour objet ou pour effet d’encadrer, dans les mêmes proportions, à la hausse et à la baisse, la variation annuelle de l’indice des loyers commerciaux prise en compte pour la révision triennale du loyer. Valérie Ouazan regrette que l’Assemblée nationale n’ait pas pris le soin d’harmoniser la définition du local : « On voit finalement un peu la méconnaissance du législateur puisque, dans cet article, une autre définition du local est donnée. Cet article vise uniquement les locaux à usage commercial de telle sorte que sont écartés les locaux à usage artisanal ou industriel ».
L’article 24 vient aussi compléter l’actuel article L. 145-40 du code du commerce par quatre alinéas. Est plafonné à 3mois le montant de la garantie (toutes garanties confondues) que devra désormais verser le preneur à bal. « C’est la nouveauté par rapport au texte qui avait été déposé devant le Sénat et voté. (…) On ne peut plus exiger de garantie complémentaire au dépôt de garantie. (…) Cela pourrait venir bouleverser encore une fois le marché. (…) le bailleur qui se retrouve avec un impayé et qui doit agir en justice pourrait voir sa dette augmentée de manière considérable sans avoir l’assurance qu’un jour sa dette sera réglée. Il faut avoir conscience, qu’aujourd’hui, une procédure judiciaire pour impayés va demander plusieurs mois, voire une année », expose Valérie Ouazan. Cette disposition ne sera pas sans poser d’importantes difficultés pratiques puisqu’elle s’appliquerait aux baux en cours d’exécution et aux baux conclus et renouvelés à la date de promulgation du texte.
En complément, l’article 24 bis du projet de loi modifie l’article L. 145-41 du code de commerce relatif à la clause résolutoire pour non-paiement des loyers. Il conditionne l’octroi de délai de paiement et la suspension des effets de la clause à la capacité du preneur à régler sa dette locative et à la reprise du versement intégral du loyer courant avant la date de la première audience. « On n’a pas beaucoup de visibilité par rapport à la recevabilité de la preuve concernant la capacité du preneur à régler sa dette et sur la condition cumulative qui est la reprise du versement intégral du loyer courant avant la date de la première audience. (…) Mais ce qui nous interpelle, c’est plutôt la date indiquée (…) : que se passe-t-il si jamais après cette première date d’audience le locataire décidait d’arrêter de payer son loyer ? », interpelle l’avocate, qui regrette la suppression de l’obligation de restitution des locaux en cas de liquidation judiciaire envisagée. À noter que la disposition devrait être applicable uniquement aux demandes tendant à la suspension des effets de la clause introduites à compter de l’entrée en vigueur du texte.
Enfin, l’article 8 ter du projet de loi complète l’article L. 145-40-2 du code de commerce. Loin de faire l’unanimité, cette disposition inattendue du projet de loi met à la charge du bailleur la taxe foncière (CGI, art. 1380), dont il doit s’acquitter automatiquement. L’impôt ne pourra plus être facturé aux locataires. « Cette question de la refacturation de cet impôt avait déjà pourtant fait l’objet d’un lourd débat au moment des travaux préparatoires de la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (ACTP) du 18 juin 2014 qui avait débouché sur l’adoption du 3e alinéa de l’article R. 145-35 du code de commerce qui permettait l’imputation de la taxe aux locataires (…) Aujourd’hui on veut de nouveau réformer ces dispositions. (…) Pour mémoire, la spécificité française du statut des baux commerciaux tient au fait qu’il octroie aux commerçants la propriété commerciale. Cela leur donne le droit au renouvellement et à une indemnité en cas d’éviction (…). Interdire cette facturation (…) pourrait conduire (…) à une augmentation des valeurs locatives qui viendrait compenser cette interdiction », alerte l’avocate.
Des investisseurs sur le qui-vive face aux conséquences du projet de loi
Thierry Herrmann, président-directeur général d’Hermann Immeubles tire le signal d’alarme : « Si l’on veut faire fuir les investisseurs, c’est exactement ce qu’il faut faire ! (…) On voit que les SCPI françaises investissent plus que jamais à l’étranger. On voit que les investisseurs étrangers investissent de moins en moins en France. Est-ce qu’on veut encore enlever de l’attractivité au pays ? ». Il évalue le manque à gagner des investisseurs entre 5 et 10 %. Bruno Brosset, président de Foncières de France, confirme ces dires et annonce : « La mise à mort de certains, et notamment ceux qui sont relativement endettés, qui n’ont pas cette trésorerie. La situation est grave ». Il rappelle que la taxe foncière est un complément de loyer et que la conséquence de sa non-refacturation se constatera au niveau des prix des loyers lors de la signature ou du renouvellement de bail.
Thierry Herrmann et Bruno Brosset s’accordent sur le fait que la mensualisation est adaptée pour les locataires de petites tailles (qui rencontrent des difficultés pour s’acquitter à l’avance d’un trimestre de loyer) mais n’est nullement justifiée pour les plus importants (les sociétés internationales étant visées). Depuis la période Covid, les bailleurs et preneurs avaient déjà su s’adapter en bonne intelligence, et légiférer sur ce point n’était pas utile : « C’est une méconnaissance du législateur, en tout cas d’une minorité de députés, vraisemblablement et toujours les mêmes (NDLR : le soir du vote, seuls 10 % des parlementaires étaient présents et le parti LFI était à la « manœuvre »), d’avancer ou de proposer des choses qui ne sont pas du tout en phase avec la réalité que nous vivons au quotidien et qui risquent, malheureusement, de mettre à mal notre modèle économique et de toucher indirectement les locataires », tacle Bruno Brosset.
Dans les faits, ce sont effectivement tous les acteurs de l’écosystème qui devraient être impactés : petits et grands propriétaires, SCPI, collectivités, banques, assurances ainsi que l’État (qui devra aussi s’acquitter de la taxe foncière au titre de son parc immobilier). Et, en bout de chaine : un risque d’attrition de l’offre commerciale locative, notamment dans des villes où il est impératif de créer de l’attractivité. Thierry Herrmann avertit que les aides locales apportées aux investisseurs dans certains territoires seront mises à néant par le législateur et fustige le projet de loi : « C’est évidemment un manque de lisibilité, c’est la sécurité des contrats qui est menacée. Les banquiers, avec qui on discute, sont extrêmement inquiets et ne savent pas comment appréhender ce texte au niveau de leurs propres risques et de leur propre valorisation ». Et Bruno Brosset de compéter : « On sera de moins en moins attractif pour les investisseurs internationaux parce que l’on présente de plus en plus une instabilité juridique et fiscale. On nous met en fait dans une fragilité permanente. (…) Moi, j’ai le sentiment (…) qu’on veut, au fil du temps, aligner la refacturation des charges des baux commerciaux sur le régime des baux d’habitation. Or ce n’est pas du tout le même univers, les mêmes occupants, les mêmes risques. Les investisseurs de locaux commerciaux ont des risques considérables, liés notamment aux défaillances d’entreprise, à l’économie générale ».
Une complexification croissante de la législation jugée inutile « Pour nous bailleurs, ce n’est pas une loi de simplification, c’est une loi de complexification », conclut Bruno Brosset. Alors fallait-il réellement envisager la réforme du décret du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal ? Pour Valérie Ouazan, la réponse est non : « On essaie toujours de faire passer des messages. C’est vrai qu’on ressent quand même dans les projets de texte qu’il y a une méconnaissance du statut des baux commerciaux et de sa pratique. (…) Le décret de 53, à mon sens, fonctionnait déjà très bien et ne nécessitait pas une réforme telle que celle créée par la loi Pinel. (…) L’avantage du statut c’est qu’on a toujours une mixité entre des dispositions d’ordre public et la liberté contractuelle. (…) On a évidemment beaucoup de contentieux sur les impayés et sur des problèmes qui sont liés aux conditions essentielles du contrat. Mais (…), finalement, pour aboutir à une signature, il faut que les parties se mettent d’accord. Et c’est ça la liberté contractuelle. (…) Et tous les cas sont différents : on peut avoir des dossiers dans lesquels on va imposer la refacturation de la taxe foncière et d’autres où ce ne sera pas le cas. Il faut savoir s’adapter à chaque micro-marché ». Sanctuariser la loi des parties éviterait de légiférer toujours plus.
Enjeux
Après son examen par l’Assemblée nationale, le projet de loi de simplification de la vie économique, qu’on n’attendait pas sur ce terrain-là, comporte désormais plusieurs dispositions relatives aux baux commerciaux. Ces mesures, si elles devenaient définitives, modifieraient de façon substantielle les relations entre les investisseurs et les locataires commerciaux. Elles ont pris de court les deux parties, et la communauté des propriétaires, familiaux comme institutionnels, ne cache pas son inquiétude.
- Quels changements si la loi était votée en l’état à la rentrée?
- Quels impacts?
- Et quel parcours législatif pour ce projet de loi?
- Quel devenir probable?
Un juriste expert de ce domaine et de ce texte, une spécialiste d’influence publique et des représentants des investisseurs nous éclairent.
Les intervenants
- Bruno Brosset, président de Foncières de France
- Thierry Herrmann, président-directeur général d’Hermann Immeubles
- Valérie Ouazan, avocate à la Cour, associée du cabinet Jacquin Maruani
- Geneviève Salsat, présidente de Public Conseil, spécialiste d’affaires publiques
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers.
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