Synthèse
Taux d’emprunt : l’inversion des normes
« Depuis le début de l’année 2025, nous sommes en anormalité historique, avec des taux de crédit à l’habitat qui se situent en-dessous des taux d’emprunt d’État. (…). Le taux moyen des crédits à l’habitat décaissés, en août, était de 3 %. Quand l’État, lui, s’endette aujourd’hui, les taux sont compris entre 3,40 et 3,45. Nous devrions avoir des banques qui prêtent au-dessus, elles prêtent aujourd’hui en dessous », relève Pierre de Buhren, directeur général du groupe Empruntis. Depuis 25 ans, est constaté un écart quasi constant entre le taux de l’OAT (obligations assimilables du Trésor) et le taux des crédits à l’habitat de l’ordre de 50 et 100 points de base. L’instabilité politique a pour effet de contraindre les banques à renoncer à un certain niveau de rentabilité pour capter des clients : « Elles gagnent moins d’argent en tout cas et, pour certaines, elles en perdent (…) [mais] c’est leur rôle de favoriser le financement de la nation et le financement des logements. (…) On ne va pas voir de baisse de l’emprunt d’État, ce qui veut dire qu’on va avoir une tension à la hausse des taux de crédit immobilier », estime l’expert. Pour autant, pas de quoi alarmer les Français. Pierre de Buhren exclut toute hausse brutale, tout au plus une hausse de 5 ou 10, faisant osciller les taux entre 3 et 3,35 %. Mais malgré une distribution de crédits estimée à 140, 5 milliards d’euros (hors négociation) pour l’année 2025 et des politiques publiques propices aux primo-accédants, on est encore loin des 228 milliards de crédits décaissés en 2021. De fait, la situation reste défavorable tant pour les secundo-accédants – qui ne peuvent financer plus grand et refinancer à un taux supérieur ce qu’ils sont encore en train de rembourser –, que pour les locataires – qui ne trouvent pas de logements disponibles –, et les investisseurs locatifs – en attente d’un statut du bailleur privé qui ne vient pas (ou du moins pas avec les conditions optimales). Par rapport à 2021, secundo-accédants et investisseurs sont deux fois moins nombreux. Pierre de Buhren rappelle que : « l’investisseur a besoin de long terme. On sait que ces périodes politiquement très denses nuisent au logement. (…) Il y a tous les effets en cascade de la fiscalité qui viennent l’inhiber. (…) La décision concernant la taxe d’habitation est une catastrophe, (…) elle nous a coûté énormément ».
La nécessaire destruction créatrice
« Est-ce que les réponses appartiennent toujours à l’État ? », interpelle Xavier Lépine, président de la Société des nouveaux patrimoines et de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière. Faisant référence à Philippe Aghion, prix Nobel d’économie 2025, il appelle à la « destruction créatrice ». La destruction se caractérise par le fait que le prix de l’immobilier, notamment résidentiel, a augmenté quinze fois plus que l’inflation ou les revenus. Charles Marinakis, président de Century 21 France, confirme : « les taux d’intérêt bas ont fait flamber les prix de l’immobilier de manière injustifiée et, aujourd’hui, nous sommes empêtrés avec un prix de l’immobilier très largement surévalué ». Il précise que fin septembre, les prix avaient encore augmenté de 1,6 % en moyenne en France. Xavier Lépine augure que l’augmentation devrait se poursuivre, du moins dans le neuf.
Aussi, Xavier Lépine estime-t-il que cette période de crise est l’opportunité pour innover et rompre avec l’attentisme, les dispositifs fiscaux aux effets délétères sur les prix de l’immobilier et les mécanismes du xxe siècle qui ne sont plus en adéquation avec les réalités du xxie : « Ce métier de promoteur, il est singulièrement français. Ça n’existe pas ailleurs. Dans les autres pays, le promoteur, c’est aussi celui qui détient les actifs. (…) Les gens ont besoin d’une mobilité professionnelle, familiale, (divorce, remariage, etc.). Aujourd’hui, [on] hérite à l’âge auquel [on] part à la retraite. Avant on héritait à 35 ans, 40 ans, c’est-à-dire au moment où on en avait besoin. Alors effectivement les banques continuent de faire la même chose (et elles ont raison) et disent “ j’ai besoin d’un apport ”. Or vous avez, aujourd’hui, 4 000 milliards d’euros qui sont gelés dans les mains des gens de ma génération qui ont entièrement payé leur logement », décrit-il.
Xavier Lépine invite à s’inspirer du modèle financier anglo-saxon : « 10% d’une tranche d’âge a le droit d’emprunter sur l’héritage futur de ses parents. Et ils le font. (…) Si vous voulez trouver une piste, plutôt que d’aller demander un allongement de la durée [d’emprunt], demandez aux banques de prêter, de faire des prêts avance mutation (…) dont les intérêts seraient payés par les enfants. Et là, vous avez un apport gigantesque, facile et vous réinjecter de l’argent dans l’économie ». Il enjoint les politiques à changer de méthode et les acteurs du marché à être à l’écoute des attentes réelles des Français : « Quels sont les produits qu’ils veulent ? Oui, ils veulent épargner. Oui, ils veulent un toit sur leur tête. Oui, ils veulent être propriétaires. Comment ? La réponse est l’innovation. Le monde de l’immobilier n’écoute pas ses clients, le monde des banques n’écoute pas leurs clients ». Souhaitant insuffler un renouveau, il invite acquéreurs et professionnels de l’immobilier à recourir à la néopropriété, qui permet l’accès à la propriété d’un bien, via un bail emphytéotique de 25 ans et un crédit. Cette solution ne convainc pas Charles Marinakis. Pour lui, le logement est avant tout un produit d’investissement familial : « Si on écoute les désidératas des Français, (…) ils n’ont pas changé depuis 50 ans (…) : ils veulent devenir propriétaires de leur résidence principale, et très majoritairement. J’entends les processus d’innovation (…) Rappelons (…) qu’une grande partie de ces dispositifs sont réservés à l’immobilier neuf et qu’ils ne sont donc pas duplicables dans les transactions dans l’ancien, qui restent très majoritaires dans le milieu du logement. (…) On est passé grosso modo de 58% de Français propriétaires à 57%. (…) En Espagne, c’est 75 %, en Allemagne, pas loin de 78 % ». Ce dernier estime que les sources de la crise du logement sont avant tout l’évolution de la démographie en France (68,6 millions d’habitants en 2025 versus 50 millions en 1970), la normalisation des familles monoparentales et le vieillissement de la population, qui ont accru la demande et la durée d’occupation des logements.
Inflation et taux d’intérêt : les liaisons dangereuses pour le secteur immobilier
Appelant de ses vœux une politique d’aménagement du territoire et un rééquilibrage du marché du logement, Charles Marinakis redoute toutefois les solutions qui pourraient être portées par les politiques, tout comme les effets des décisions émanant de la Banque centrale européenne (BCE), à l’origine de l’augmentation brutale de l’inflation : « Qu’est-ce qui va se passer sur les marchés en termes d’inflation ? (…) On est à 0,9 % aujourd’hui, c’est parfait. Que se passera-t-il demain ? (…) On a [déjà] vu l’inflation remonter à 4 ou 5 %. Quid des taux d’intérêt à ce moment-là ? Et quid des conséquences d’une fiscalité imprévue ? Typiquement, une augmentation des droits de mutation, c’est une option, même si elle a déjà eu lieu partiellement. Ce n’est pas tellement cela que je crains. Je crains que demain, on ne soit assujetti à la plus-value en matière de vente de résidences principales. »
Pierre de Buhren justifie l’augmentation, décidée par la BCE, des taux directeurs de 400 points de base en 6 mois : « le banquier central, quand il y a de l’inflation, sa seule arme, ce sont les taux directeurs. Il n’y a pas d’autre outil de gestion monétaire pour lutter contre l’inflation. (…) L’inflation a galopé après le début de la guerre en Ukraine. L’ensemble des flux planétaires ont été impactés. Dans les matériaux de construction, l’inflation n’était pas de 5% mais de 30% en l’espace de quelques semaines. (…) Certains experts commencent à dire que l’inflation était plutôt mécanique ; elle n’était pas du tout monétaire. D’où le fait que c’est une arme qui a coûté aussi en taux d’intérêt, mais elle a permis d’arrêter la montée des prix ; mais ce n’est pas forcément celle-ci qui a permis de juguler l’inflation ». Pierre de Buhren pense que le président Trump devrait exiger de la Fed une baisse des taux, qui permettra à la BCE de faire de même. Quant aux critères du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), Charles Marinakis et Pierre de Buhren s’accordent à dire qu’ils sont contre-productifs pour le marché : « Entre l’usure et le HCSF, il y a un moment où on a quand même trop de mesures protectrices », accuse Pierre de Buhren.
Épargne de précaution : l’or a encore la quote
Est constatée une épargne record de la part des Français. L’immobilier aurait perdu son statut de valeur refuge au profit de l’or, et son prix aurait doublé. Xavier Lépine explique cette confiance des Français dans le métal précieux : « [Lorsque l’on est] dans une situation de stagflation, [on cherche] l’actif qui est en même temps stable et liquide. (…) [On peut] le vendre, c’est fongible. Rien de très étonnant, qu’aujourd’hui, il y ait une ruée vers l’or. ». Pour lui, le choix de cet actif pour constituer une épargne de précaution est une réponse rationnelle aux dérèglements économiques et politiques. Il somme, une nouvelle fois, les politiques et les industriels de la filière de transformer leur approche pour relancer, notamment l’investissement immobilier : « Ce sont quand même bien des décisions humaines qui, par exemple, ont fait que quand [on vend] un immeuble de bureau avec une TVA à 20%, [on récupère] la TVA sur les loyers que [l’on fait] payer aux entreprises, alors que quand [on fait] du logement, [on paye] toujours la TVA à 20%, mais [on] ne la récupère pas parce que c’est un acte civil, et pas un acte commercial. C’est n’importe quoi. Donc il ne faut pas s’étonner s’il y a des dérèglements profonds, c’est nous qui les avons créés, et on les a créés à une époque où ça avait énormément de sens. Mais ça s’appelle l’entropie. Et c’est tout. L’entropie de notre système de production d’immobilier fait qu’il ne fonctionne plus. Et donc il faut réfléchir en profondeur sur toute la chaîne. Mais ça ne va pas se faire facilement. Cela ne sera pas dans la joie et dans la bonne humeur. Mais c’est une réalité. Alors il faut peut-être tomber encore plus bas. C’est toute la question ».
Vidéo
Les intervenants
- Pierre de Buhren, directeur général du groupe Empruntis
- Xavier Lépine, président de la Société des Nouveaux Patrimoines, président de l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière
- Charles Marinakis, président de Century 21 France
Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers.



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