Jan 10

« L’immobilier de prestige échappe-t-il à la crise? », mardi 12 janvier 2021 à 17h

Le constat

L’immobilier d’habitation aura opposé à la crise sanitaire et économique une belle résistance en 2020, même si les chiffres du nombre de transactions ne sont pas encore stabilisés. Il reste aussi à analyser finement, par segment de marché, l’impact réel des circonstances sur le logement. L’immobilier de prestige, dans ce contexte, est observé avec une attention particulière, au-delà de la fascination qu’il exerce toujours sur l’opinion et sur les acteurs professionnels eux-mêmes.

Si certains le considérent hors marché, beaucoup considèrent à l’inverse qu’il est un indicateur précieux pour l’ensemble du marché et fournit en quelque sorte une réalité augmentée de l’immobilier dans son entier. Les vendeurs et les acquéreurs y sont des décideurs, des leaders, des entrepreneurs, qui ont aux évolutions économiques une hypersensibilité. Par ailleurs, leur approche de l’immobilier n’est pas seulement hédoniste, mais patrimoniale, c’est-à-dire guidée par le souci de l’optimisation et de l’arbitrage rationnel, avec une exigence majorée par rapport aux ménages moins aisés ou moins fortunés.

Les questions

  • Que s’est-il passé pour l’immobilier résidentiel d’exception en 2020, quant aux volumes, quant aux prix, quant au profil des acheteurs?
  • Que sera l’année qui commence?

Prochaine conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier, organisée le mardi 12 janvier à 17h

Débat animé par Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers.

Les intervenants

Géraldine MÉTIFEUX
Associée gérante chez Alter Égale, conseil en gestion de patrimoine
Laurent DEMEURE
Président de Coldwell Banker France et Monaco
Sébastien KUPERFIS
Président fondateur du groupe Junot
Thibaut GEMIGNANI
Directeur général et directeur de la publication de Propriétés (Le Figaro)

La synthèse

« 2020 a été une bonne année pour l’immobilier de luxe », déclare Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France, Monaco, Luxembourg, Belgique et Suisse. Les quatre mois d’inactivité que la France a connus, du fait de la crise Covid-19, ont eu peu d’incidences économiques sur le marché qu’est l’immobilier segmenté dit « de haut de gamme », « de luxe », « de prestige », ou encore « d’exception ». En France, un bien entre sur le marché « haut de gamme » lorsque sa valeur est, a minima, de 550 000-600 000 euros, soit deux fois le prix moyen : « L’immobilier de prestige, de luxe, c’est à partir du million d’euros. Un bien immobilier d’exception est (…) une propriété unique, une très belle œuvre d’art qui n’a rien de comparable au niveau local », précise Laurent Demeure. Le nombre d’acquisitions réalisées en 2020 sur ce marché serait inférieur de 12 à 15 % par rapport à celui de l’exceptionnelle année 2019.

À la recherche d’authenticité

En revanche, le confinement a considérablement modifié les critères de recherche des acquéreurs. En quelques mois, les Français ont pris conscience que leur lieu de vie était devenu un espace d’éducation des enfants, de travail et de protection : « Nos clients ont réalisé une évaluation des endroits où ils vivaient en se disant que dans cette situation sanitaire et de confinement, ils souhaitaient plus d’espace, un bureau, une salle de sport et un jardin. Donc à partir de là, ils ont décidé de réinvestir », rapporte Laurent Demeure. Et force est de constater que la généralisation du télétravail associée à la construction de lignes TGV ont permis une décentralisation des lieux de vie au point de voir se dessiner une nouvelle géographie humaine de la France et une gentrification de certaines régions : la côté Atlantique a le vent en poupe et l’arrière-pays cannois ou les régions autour de Perpignan ont pris du galon. Mais contrairement aux idées véhiculées par la presse, Paris n’est pas en reste : « Pour les Parisiens, le confinement a remis l’immobilier au cœur de leur préoccupation. (…) Toutefois, selon nos statistiques de ventes, les acquéreurs souhaitant quitter la capitale ne représentent que 15 % du marché au lieu de 10 % auparavant », relève Sébastien Kuperfis, président fondateur du groupe Junot. D’ailleurs, ce dernier souligne que les prix de l’immobilier parisien se maintiennent et que les biens d’une valeur comprise entre 1 et 1,5 millions d’euros sont acquis à 90 % par une clientèle française, voire parisienne. Mais où sont passés les acquéreurs étrangers ?

Entrée de nouveaux profils d’acquéreurs

Traditionnellement, l’immobilier de luxe est le terrain de chasse gardé des investisseurs étrangers. La crise sanitaire ayant entraîné une limitation des déplacements internationaux, la clientèle étrangère a cédé sa place, pour un temps, à de nouveaux profils : des chefs d’entreprise disposant d’une fortune personnelle mais aussi des jeunes venant de l’univers du digital (qui ont revendu leur start-up ou levé des fonds) sont venus compenser cette perte de capitaux étrangers. Si au niveau national, Laurent Demeure note un recul en part de marché de cette typologie d’acheteurs de l’ordre de 60 %, Sébastien Kuperfis l’estime, pour Paris, de 20 points : «  Pour les ventes au-dessus de 5 millions d’euros, jusqu’à maintenant, on avait 85 % d’acquéreurs étrangers. Depuis le confinement, c’est tombé à 65 % ». Pour autant le numérique, avec les visites 3D, a permis quelques transactions à distance, une bonne adresse dispensant l’acquéreur d’une visite. Et Paris reste attractif pour les non-nationaux du fait de son architecture, de son histoire, de sa monnaie forte (zone euro) et de son système d’emprunt à taux fixe. Mais précisément… comment se négocie et se finance un tel achat ?  

La négociation est un jeu, l’emprunt un confort

Comme pour toute transaction, si le prix n’est pas celui du marché, l’acquéreur se lancera dans une négociation qui peut durer : elle fait partie du jeu issu du monde des affaires et peut, selon les cultures, être une condition impérative de conclusion du processus d’achat ou de vente.

La question du financement peut aussi s’inviter dans la négociation. « On emprunte par confort et auprès de certaines banques à des taux à peine supérieurs à 0 % sur des périodes courtes. Pourquoi casser ses placements ou céder de l’immobilier que l’on a déjà alors que l’on peut emprunter de l’argent quasiment gratuitement auprès d’une banque ? », interpelle Laurent Demeure. Sur Paris, on constate une augmentation des conditions suspensives de prêt pour les acquisitions de plus de 1,5 millions et une baisse de la durée des prêts de 23 à 21 ans. Les acquéreurs profitent de tous les produits financier mis à leur disposition : crédits Lombard, portefeuille d’actions ou de titres en garantie, refinancement auprès de banques suisses ou luxembourgeoises (mais la crypto-monnaie est proscrite). Pour Géraldine Métifeux, associée gérante chez Alter Égale, conseil en gestion de patrimoine : « Il faut des revenus du travail et pas du capital pour acheter. Le crédit est un outil de gestion du patrimoine considérable car quand on est le pilier économique de sa famille, l’assurance décès attachée à l’emprunt est une grande protection. Il est aussi un outil de gel de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière ». Si tout semble couler de source, quelle sera la stratégie d’investissement immobilière des ménages en 2021 ?

Pour une stratégie d’investissement prudente

Thibaut Gemignani, directeur général et directeur de la publication de Propriétés (Le Figaro) est d’un optimisme  vigilant : « on pourrait avoir un ralentissement ». Pour ce dernier l’immobilier est plus que jamais une valeur refuge dans tous les sens du terme. Selon une étude réalisée auprès des lecteurs de la revue en tout début d’année 2021, 69 % des  1700 personnes interrogées (dont 1/3  disposent de revenus supérieurs à 160 000 euros) ont confiance dans le marché de l’immobilier de prestige (soit une baisse de seulement 7 % par rapport à l’an dernier) ;  70 % sont prêts à se porter acquéreur dans un délai de deux ans et 45 % dans un délai d’un an ; 57 % souhaitent acheter une résidence principale et 31 % une secondaire : l’usage personnel est privilégié à 35 % (seuls 6 % envisageraient à un investissement). Peu favorable à l’achat d’une résidence secondaire considéré comme coûteux à plus d’un titre (taxe d’habitation, IFI, entretien, transmission, etc.), Géraldine Métifeux souligne que quelle que soit la nature du bien (résidence principale ou secondaire), il s’agit pour les acquéreurs de produits haut de gamme d’un investissement de plaisir : « On reste sur l’immobilier de jouissance, moins sur l’immobilier de rapport ». Aussi, à ceux qui s’attendraient à un retour sur investissement rapide, elle préfère rappeler qu’un investissement n’est pas sans risque et  « qu’une stratégie d’investissement en immobilier repose sur un engagement de 15 ans, qui correspond à la durée du crédit ». Elle conseille ainsi une vision patrimoniale sur la durée pour mieux mesurer son risque et maîtriser le côté volatile de l’immobilier.

L’immobilier de prestige réagit bien à la crise. Pour ceux qui souhaiteraient se lancer sur ce secteur, il faut savoir que son bon fonctionnement repose sur le fait qu’il appartient à un univers de marques et de réseaux capables d’assurer les investissements (digitaux, de formation) nécessaires pour garantir une qualité de services, le client étant au cœur de la stratégie des agences. Mais pour que perdure un tel marché dans le respect des contraintes environnementales, les pouvoirs publics sont invités à soutenir les acquéreurs par le biais des mesures fiscales : à défaut, les biens pourraient perdre leur caractère exceptionnel.

Pour consulter les résultats de l’étude Propriétés Le Figaro « Le marché immobilier de prestige en France : les intentions d’achat se maintiennent à un niveau élevé malgré la crise » > cliquer ici