Juin 01

Va-t-on vers une France de locataires ? – Mardi 13 juin à 18h

La synthèse

Le renoncement des investisseurs dans le locatif ancien

« Aujourd’hui, concrètement, nos investisseurs ont disparu ! Jusqu’à fin 2022, on avait encore des propriétaires qui souhaitaient investir dans l’immobilier locatif. Mais, à ce jour, ils ne peuvent plus parce qu’ils n’ont plus accès au crédit. On leur demande des apports beaucoup trop importants (entre 35 et 45% pour un investissement locatif). En outre, les prix de vente souhaités par les propriétaires ne sont pas en adéquation avec la demande. (…) Un rééquilibrage s’impose », soutient  Nicolas de Brem, dirigeant associé du groupe France Ermitage qui œuvre sur le marché parisien dans l’ancien. Ce dernier pointe aussi du doigt la loi « Climat » qui stoppe toutes les ambitions d’investissement. Il souligne le ras-le-bol ambiant des bailleurs qui, pressurisés par la réglementation juridique et fiscale actuelle, préfèrent se délester de leurs biens, faute de pouvoir entrevoir un quelconque rendement : « concernant les contraintes de la rénovation énergétique, 80 % des propriétaires bailleurs ne comprennent pas pourquoi, en échange de ces travaux, il leur est absolument impossible de déroger à l’encadrement des loyers et de déplafonner leur loyer ». De fait, Nicolas de Brem est convaincu que la France ne deviendra pas une France de locataires : « Avec la diminution des ventes, tout le report se fait très logiquement vers le parc locatif qui, lui aussi, diminue à vue d’œil : on n’a pas assez de bien pour subvenir à la demande de biens en location ». Mais qu’en est-il dans le neuf ?

L’effet couperet de la réglementation dans le neuf

Même écho : la baisse de production de nouveaux biens actuellement constatée ne pourra apporter l’oxygénation dont a besoin le marché de l’investissement locatif. Ce phénomène s’explique, principalement, par l’instabilité de la législation fiscale. En effet, la loi de finances pour 2021 a modifié de manière dégressive, depuis le 1er janvier 2023, le taux de réduction d’impôt liée au dispositif Pinel (NDLR : la dégressivité ne concerne pas le dispositif Pinel + qui impose que le logement dispose de qualités d’usage et de confort ainsi que d’un niveau de performance énergétique et environnementale supérieurs à la réglementation en vigueur). Conséquence : « Depuis le 1er janvier 2023, sur le premier trimestre de l’exercice, c’est une baisse de 52,3% pour les seuls investisseurs particuliers par rapport au trimestre précédent, sur un marché global en recul de 55%, ce qui est extrêmement problématique pour les promoteurs », déclare Olivier Chatelin-Malherbe, directeur général adjoint de l’immobilier résidentiel et des régions de Vinci Immobilier. « Toutes les opérations que Vinci Immobilier met sur le marché aujourd’hui sont des opérations de budget pensées il y a 1, 2, 3, 4 parfois jusqu’à 5 ans. La commercialisation d’un produit est devenue un vrai problème. Vinci Immobilier prévoyait de distribuer 50 % d’accession à propriété et 50 % en locatif. Mais ces 50 % d’investissement locatif auraient dû être distribués à travers le dispositif Pinel, qui est amené à disparaître. Et le produit conçu pour être un investissement locatif ne l’a pas été pour être de la résidence principale », poursuit-il. À cela s’ajoute la nécessaire adaptabilité des promoteurs face aux nouvelles normes de constructions : « Les normes peuvent changer d’une année sur l’autre, sinon tous les six mois (…)  Malgré tout, les promoteurs essaient de raccrocher les wagons : on va supprimer le gaz de nos opérations, on va essayer d’obtenir de bons DPE, on va essayer de courir sur des surfaces qui vont augmenter, on va courir sur la transversalité de certains lots. (…) Les plans d’urbanisme de chaque municipalité, voire de métropole, nous obligent à construire certaines typologies de produits. Mais quand on voit ce qu’on nous demande d’un côté et ce qu’on est en capacité de produire de l’autre, on devient un petit peu schizophrène ! », dénonce Olivier Chatelin-Malherbe. Ce dernier rappelle que : « l’État avait fait appel à des fonds privés parce qu’il ne souhaitait pas investir et considérait qu’il retrouvait un petit peu son gain à travers la TVA, les charges patronales liées à la construction du bâtiment, etc. Apparemment l’État a complètement oublié l’intérêt de construire du neuf. (…) Certes notre ministre l’a compris mais, malheureusement, on est en opposition avec le ministère de l’Économie et des Finances, qui ne voit que le coût instantané des aides pour l’État. Certes, l’État se crée des charges et doit avoir en face les produits, mais c’est bien le cas en termes d’emplois et de rentrées fiscales dans les deux ans qui suivent. Les pouvoirs publics doivent aussi se rendre compte de la nécessité de faire appel à des bailleurs privés pour pouvoir apporter des logements libres sur le marché locatif, en complément des logements sociaux. (…)  Arrêter de promouvoir ce fonctionnement c’est arrêter la mixité d’accession. (…) En tant que défenseur de l’accession à la propriété, je suis favorable à l’assouplissement des conditions d’octroi du prêt à taux zéro (conditions de ressources et de montant global). Il faudrait que cela soit partagé avec l’ancien. (…) Soyons plus généreux, plus ouverts à la cible et aux potentiels acquéreurs ».  Face à ces constats, quelles pourraient être les autres solutions pour relancer le marché de l’immobilier et répondre au souhait des Français de devenir propriétaires ? 

La location avec option d’achat : le sésame des laissés-pour-compte

Pour pallier la difficulté de certains d’acquérir un bien immobilier, la jeune proptech Sezame propose d’associer au concept de la location avec option d’achat un accompagnement personnalisé de maximum 36 mois. « Nous apportons une solution de transition, une flexibilité. Nous allons permettre à un accédant d’emménager dans le logement de son choix que nous aurons acheté, grâce à nos différents investisseurs. Il y a, tout d’abord, une phase de location pendant laquelle nous sommes aux côtés de nos clients pour les accompagner pour épargner, assainir leur gestion de compte, rembourser un prêt à la consommation, revendre un investissement locatif et libérer leur capacité d’endettement, etc. ; ensuite un accord sur un prix fixe d’achat du bien, convenu d’avance ; enfin, un accompagnement jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de pouvoir acheter leur logement », expose Charles Ruelle, président fondateur. Passés les 36 mois, le futur acquéreur peut renoncer à son projet. « Nous avons fait le choix d’accompagner exclusivement ceux qui souhaitent acheter pour leur propre usage, (…) les personnes qui sont en activité professionnelle sur lesquelles il est possible de projeter de manière relativement prévisible leur capacité future à obtenir un crédit dans les trois ans. S’agissant des biens, nous sélectionnons ceux qui ne poseront pas de problème à la revente », précise l’entrepreneur. Cette solution, inspirée du leasing automobile, séduit tant les primo-accédants confrontés à un apport limité, que les propriétaires vendeurs dans l’impossibilité d’obtenir leur prêt-relais ou encore, par exemple, les personnes en instance de divorce. Aux États-Unis, près de 6 % des Américains primo-accédants ont eu recours à ce procédé d’accession. En France, ce sont plus de 3 000 personnes qui ont déjà sollicité la start-up… la start-up en moins d’un an. Quant aux professionnels de l’immobilier, ils accueillent favorablement cette nouvelle issue pour le secteur : « c’est très intéressant pour le neuf comme pour l’ancien. Cela peut débloquer des projets », énonce Nicolas de Brem. Olivier Chatelin-Malherbe y voit un complément à l’offre de BRS (bail réel solidaire) existant. Toutefois il interpelle : « Concernant le délai de trois ans pour les droits de mutation, (…) on doit être un peu au niveau de la règle des marchands de biens ». En clair, des droits réduits pour la période de portage seraient les bienvenus.

Le libre-choix fiscal de l’investisseur locatif : la solution notarialeLa perspective d’une offre locative privée de qualité, offrant un certain niveau de rentabilité, nécessite qu’elle dispose d’un statut fiscal global cohérent et clair. « Tout le monde parle de ce fameux statut du bailleur privé. Autour de ce statut, le mot d’amortissement. (…) Or, on a aujourd’hui des revenus fonciers, des BIC, de l’IFI, des régimes micro ou réels. On a aussi le sujet des déficits. c’est très compliqué. Il y a enfin le fameux LMNP. Tout cela nécessite déjà peut-être d’être

mis en cohérence », expose Xavier Lièvre, notaire associé, président de la commission « Accéder au logement », du 119e Congrès des notaires. Autre axe d’évolution souhaité par la profession notariale : la fin de la distorsion de régime entre  louer meublé et louer nu. « Choisir entre le nu ou le meublé doit être un choix du bailleur selon des circonstances de faits et non des enjeux fiscaux. (…) L’idée est de ne pas vouloir faire un grand soir fiscal. (…) Comme en matière de SCI, il faudrait laisser opter le propriétaire (que ce soit dans le nu ou dans le meublé) pour le revenu foncier (et donc la plus-value immobilière des particuliers) ou pour les BIC (dont découle la plus-value professionnelle). (…) Il ne faut pas que le régime professionnel soit lié au meublé, sinon on fausse tout. Il faut que le régime professionnel soit relié à un propriétaire qui met sur le marché un logement et qui, de ce simple fait, rend un service. On aura une sorte de loueur immobilier professionnel (LIP) », explicite le notaire, qui relève la complexité de la conjoncture actuelle et l’absence de mesure d’accompagnement pour éviter les blocages qui pourraient advenir avec, notamment, l’arrêt brutal annoncé du dispositif Pinel. Entre déficit foncier ou amortissement, l’investisseur immobilier devra donc choisir sa stratégie fiscale et s’y tenir. Un choix complexe relève Xavier Lièvre, notamment si l’investisseur engage des travaux : « Est-il préférable de les passer en charges ou de les amortir ? C’est un sujet qui n’est pas si simple ». À la question de savoir si ce système favorisera l’intermédiation, le notaire répond positivement : « mais il y a un moment, quand on assume de se revendiquer entrepreneur, il faut se faire accompagner (…). Je pense qu’il faut assumer sa position ».

Dans la continuité de ces propositions, la commission « Accéder au logement » souhaite d’autres évolutions : « la SCI ne peut pas faire de location meublée, sauf à être de plein droit taxée à l’IS ; c’est une règle aberrante qui complique les stratégies de transmission familiale. (…) Le locataire d’un meublé, constituant sa résidence principale, ne peut pas préempter en cas de vente contrairement à un locataire d’un logement nu, ce qui ne favorise pas le parcours locatif. (…). Le système Loc’Avantages n’est ouvert qu’à la location nue alors que l’on pourrait proposer une offre privée (nue ou meublée) sociale solidaire, intermédiaire ou d’intermédiation locative, dès lors que le logement constitue la résidence principale du locataire », développe Xavier Lièvre. Une façon, sinon d’aller vers une France de locataires, d’abonder l’offre locative privée et, à côté de l’accession – désormais difficile pour beaucoup de ménages –, d’encourager la propriété d’investissement, aujourd’hui insuffisanteRappelons que l’ensemble de ces propositions sera présenté et débattu, dans deux mois, lors du 119e Congrès des notaires de France qui se tiendra du 27 au 29 septembre 2023 à Deauville.

Regardez le débat en replay !

Les enjeux

L’accession à la propriété dans notre pays, qu’elle se porte sur le logement neuf comme sur le logement existant, est en train de perdre une grande partie de son souffle. Tout porte à croire que la hausse durable des taux, mais aussi le niveau des prix, encore faiblement atténués par la baisse à l’œuvre, s’ajoutant à la réduction générale du pouvoir d’achat et aux craintes géopolitiques vont tenir éloigné de l’achat de la résidence principale un nombre croissant de ménages. Par ailleurs, les discours publics au sommet de l’État accréditent que la propriété de son logement n’est plus privilégiée par les décideurs politiques. 

  • Quelles sont les conséquences de cette situation?
  • Les désirs des Français sont-ils conformes à cette évolution du regard public? L’attachement à la propriété est-il en recul, ou les circonstances conduisent-elles au renoncement contraint?
  • Le parc locatif est-il en mesure d’absorber la demande qui se reporte sur lui, créant d’ores et déjà des tensions?
  • Comment favoriser l’investissement locatif privé? 

Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Nicolas de Brem, dirigeant associé du groupe France Ermitage
  • Olivier Chatelin-Malherbe, directeur général adjoint de l’immobilier résidentiel et des régions de Vinci Immobilier
  • Xavier Lièvre, notaire associé, président de la commission « Accéder au logement » du 119e Congrès des notaires
  • Charles Ruelle, président fondateur de Sezame

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle.

Olivier CHATELIN-MALHERBE
Directeur général adjoint de l’immobilier résidentiel et des régions de Vinci Immobilier
Xavier LIÈVRE
Notaire associé, président de la commission « Accéder au logement » du 119e Congrès des notaires
Nicolas DE BREM
Dirigeant associé du groupe France Ermitage
Charles RUELLE
Président fondateur de Sezame