Jan 03

Transaction résidentielle en 2023 : résilience et valeur refuge suffiront-elles ? – Mardi 17 janvier à 18h


Retrouvez le replay de la conférence !

Les enjeux

La fin de l’année 2022 a révélé que le marché de l’immobilier résidentiel perdait de sa vigueur, pour la première fois depuis une quinzaine d’années. Même la période de pandémie n’avait véritablement affecté ni les volumes ni les prix. Les puissantes aides publiques y sont évidemment pour beaucoup, mais il reste que le marché a fait preuve d’une étonnante robustesse.

La donne a radicalement changé au cours des derniers mois, avec un accès au crédit durci, des taux d’intérêt doublés en une année, une inflation des prix qui affaiblit l’essentiel des ménages, des prix encore élevés dans toutes les zones tendues mais aussi dans les villes moyennes et les territoires ruraux qui ont regagné en attractivité aux yeux des ménages. Le moral des Français est en outre hypothéqué par les risques géopolitiques et l’inquiétude liée à la fin des aides publiques, ou à tout le moins leur réduction.

Comment le marché de la revente des logements fonctionnera-t-il en 2023 ? Les atouts régulièrement mis en avant par la profession de résilience et de valeur refuge seront-ils des remparts solides contre les vents contraires ? Quels segments seront-ils les plus touchés par les circonstances ? Quels territoires ? Quelle évolution des volumes ? La baisse des prix aura-t-elle lieu ? Dans quelles proportions ? Les effectifs professionnels seront-ils menacés ? Quelle intervention demander à l’État ? Les discours de la communauté immobilière décrivent-ils la réalité économique avec fidélité ? Au-delà des effets de conjoncture, n’asssiste-t-on pas à un changement d’ère, avec moins de propriétaires accédants dans les années futures ?

Des dirigeants de réseau nationaux de transaction et une personnalité du financement immobilier des particuliers nous éclairent et confrontent leurs analyses. 


Les intervenants

Le débat est animé par Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, secrétaire général du Cercle. Avec :

  • Ludovic Huzieux, fondateur et directeur général d’Artémis Courtage
  • Charles Marinakis, président de Century 21 France
  • Guillaume Martinaud, président d’ORPI France
  • Dominique de Saint-Laurent, présidente fondatrice de Weloge
Dominique DE SAINT-LAURENT
Présidente fondatrice de Weloge
Guillaume MARTINAUD
Président d’ORPI France
Charles MARINAKIS
Président de Century 21 France
Ludovic HUZIEUX
Fondateur et directeur général d’Artémis Courtage

La synthèse

« En 2023, cela va bouger dans l’immobilier ! », annonce Charles Marinakis, président de Century 21 France. « On va enfin (…) avoir un marché qui va nous apprendre beaucoup de choses sur les désidérata des clients, sur leur comportement, sur ces nouveaux “ migrants ”professionnels ou personnels. Cela sera intéressant car c’est la première année non covidée. (…)  Bien entendu, le cocktail des facteurs régulateurs du marché sont moins favorables que sur les dix dernières années : loi Climat et résilience, choc du taux de crédit et taux d’usure. (…) Les volumes vont régresser et c’est nécessaire que l’on passe par cette étape-là parce que, derrière la diminution du volume de transactions, il faut s’attendre à un ajustement des prix que je situe de l’ordre de 10 à 15 %. C’est, à mon avis, cet ajustement-là qui permettra au marché de retrouver une dynamique et une stabilité », estime le patron du réseau, après avoir souligné les deux années exceptionnelles vécues : « 1 200 000 transactions … c’était du jamais vu. Je vous rappelle, quand même, qu’il y a dix ans, c’était à peine 58 3000 ventes. » Et Guillaume Martinaud, président du réseau coopératif ORPI France de confirmer : « 2023 ne sera pas aussi dynamique que 2022 (NDRL : la FNAIM évalue à 1 100 000 le nombre de transactions immobilières réalisées). Il y a un rééquilibrage qui est en train de s’opérer ».

Les nouvelles données à prendre considération

« Depuis septembre 2022, on sent très nettement qu’il y a moins d’acquéreurs dans les agences, cela se tend. (…) L’année n’a pas été mauvaise. En comparaison à 2019 – année de référence avant les événements Covid –, on doit être à – 0,76. On a relevé 6 % d’augmentation des prix (+ 6% à Bordeaux ; + 8 % à Montpellier et à Strasbourg) avec une baisse des demandes de compromis de – 10 % par rapport à 2021 (- 38 % de compromis à Bordeaux et à Paris ; – 13 % à Montpellier ; – 11 % à Strasbourg).  (…) Pour toutes les villes qui étaient surcotées ou qui avaient atteint un plafond, la correction des prix a été immédiate. (…) On a des durées de mandat qui commencent à augmenter un petit peu : on passe à 96 jours de commercialisation. (…) Il n’y a plus l’attrait immédiat. (…). Rien de catastrophique mais ce sont quand même des signes que le marché change. (…)  Tout l’enjeu va être d’arriver à équilibrer car on manque d’offres (…) et les gens ne sont pas prêts à acheter n’importe quoi. (…) Et tant qu’on aura cette restriction sur l’offre, les prix continueront à être tendus », expose le président d’ORPI France. Guillaume Martinaud alerte les professionnels, toutes générations confondues : « Il va falloir, plus que jamais, expliquer et justifier nos prix et pourquoi les estimations atteignent ces prix-là ».

Sans remettre en cause ces propos, Charles Marinakis – qui, lui, a ressenti la crispation du marché dès juin 2022 –, apporte deux précisions :  d’une part, il n’existe plus un marché de l’immobilier unique mais des marchés, qui peuvent être réduits à des régions, voire des villes ; d’autre part, ce nouvel état de fait a, par la force des choses, un impact sur les prix. Ainsi, les 4 000 euros du mètre carré généralement avancés ne peuvent plus être la référence des prix de vente sur le plan national. « On commence à observer une contraction des prix parce que, effectivement, les vendeurs ne baissent pas spontanément leur prix. Un travail pédagogique et médiatique est à faire. Sur le terrain, nos conseillers arrivent petit à petit à ramener les vendeurs à la raison. Ces derniers prennent conscience que le prix proposé initialement n’est plus adapté au marché sur lequel il se situe », souligne-t-il, tout en se hasardant à évaluer à 950 000 – 1 050 000 le nombre de transactions pour l’année.

Le retour des bonnes pratiques

Cette nouvelle donne n’est pas sans produire certains effets : « Des conseillers sont plutôt en panique puisqu’ils n’ont pas été habitués à cela. (…) Quand on n’a pas de recul, cela peut faire peur. (…) Je pense qu’à un moment donné, il faut revenir aux fondamentaux. Mais la difficulté sera pour les gens qui ne sont pas formés ou qui n’ont pas la résilience pour avancer sur ce marché, qui va rester une dynamique. Parce que lorsque l’on parle de plus d’1 000 000 de transactions, cela reste un marché très dynamique », relativise Dominique de Saint-Laurent, présidente fondatrice du réseau de mandataires Weloge. Pour cette dernière, revenir aux bonnes pratiques du métier consiste, notamment, à prendre le temps de pouvoir traiter chaque demande (la période euphorique ayant eu pour conséquence de laisser certains prospects sur le carreau), à maîtriser le juridique (rédaction des avant-contrats), à connaître parfaitement le secteur sur lequel on évolue, « à faire monter encore plus en compétences des personnes qui sont depuis plus de 2 ans sur le marché (…), leur apporter les outils qui feront la différence dans ce secteur concurrentiel et seront à la disposition de leurs clients (comme par exemple, une application pour favoriser le parrainage des apporteurs d’affaires), et les accompagner pour leur permettre de doubler leur chiffre d’affaires. (…) Quelle que soit la structure dans laquelle un novice arrivera dans ce métier (agence immobilière classique ou réseau de mandataires), elle sera fragilisée. Ce n’est pas une question de structure, c’est une question d’accompagnement ».  Mais force est de constater que les agences qui ont su développer un vrai fonds de commerce avec la fidélisation d’une clientèle et le développement de services annexes, comme la gestion immobilière, sont moins exposées au risque engendré par ce changement de cap que les réseaux de mandataires : « On n’est pas à l’abri de la tempête mais on est à l’abri du vent », ironise Charles Marinakis. 

À ces basiques s’ajoute la préconisation de recourir à la pratique du mandat exclusif, voire du partage de mandat. Alors que la moyenne nationale serait de 20 %, le réseau coopératif ORPI France affiche un taux de 58 % de mandats exclusifs, Century 21 France 61 % et Weloge 70 %. « Je reste persuadé que le mandat exclusif est une bonne opportunité pour défendre les intérêts de nos vendeurs. Je crois aussi au partage de ceux-ci », déclare Guillaume Martinaud, qui rappelle la nécessité de maintenir un niveau honorable d’honoraires correspondant au service de qualité rendu aux acquéreurs : « Faire du dumping est le meilleur moyen de disparaître ». Et Charles Marinakis de spécifier : « Que l’on arrête de penser que les agents immobiliers coûtent 7, 8 ou 10 %. On est à 4,3-4,55 % ». 

Le profil idéal de l’acquéreur-emprunteur 2023

Il ne faut pas perdre de vue que 90 % des opérations immobilières se réalisent avec le recours à un crédit. Selon l’observatoire du réseau Century 21 France, un quart des acquéreurs ont 30-40 ans. Appartenant tant à la catégorie des CSP qu’à celle des employés-ouvriers, ils sont primo-accédants. Rares sont les secundo-accédants puisqu’ils sont confrontés à la fois à la hausse des prix des biens convoités par eux et à la difficulté d’accès au crédit de leurs acquéreurs potentiels. Mais les primo-accédants ne sont pas tous épargnés par ce double phénomène surtout s’ils ne disposent pas d’un apport personnel suffisant pour obtenir un prêt pour le financement de leur résidence principale.

Pour Ludovic Huzieux, fondateur et directeur général d’Artémis Courtage, un bon dossier, présentable à l’ensemble des banques, doit justifier d’un apport personnel couvrant au minimum l’intégralité des frais d’acquisition : « ce qui représente environ 10 %.  Vous devez pouvoir garantir les droits de mutation, les frais de garantie, les frais de courtage et les différents frais attenants pour être en position de force et négocier les dixièmes de points qui vont rendre le crédit moins cher. Si vous disposez de 10 % supplémentaires, donc d’une marge pour la banque, vous avez un très bon dossier ». 

Toutefois, le courtier souhaite temporiser sur les événements passés : « il y a eu un écho, dans certains médias, un peu fort sur les difficultés d’accès au crédit. (…) On va terminer l’année sur une production de crédits négociés de l’ordre de 215-220 milliards d’euros. (…) Certes, en décembre, on aura débloqué moins de 15 milliards d’euros de crédit, ce qui est un chiffre inférieur à ce que l’on a produit comme crédit en plein cœur du premier confinement, au moment où les agences immobilières et les bureaux de courtage étaient fermés. Si vous multipliez cela par 12, vous vous rendrez bien compte que l’on revient à des productions de crédits qui sont plus faibles et plus basses que ce que l’on a connu ces dernières années. C’est évidemment la fin d’une période où l’argent était quasiment gratuit ». Depuis, effectivement, le taux des crédits a plus que doublé, passant de 1 % à 3,5 % et avoisinant les 4 %, ce qui a fait reculer la capacité d’emprunt. « Prenons l’exemple d’une mensualité de 1 000 euros de crédit par mois sur 25 ans (aujourd’hui la durée moyenne et maximale d’emprunt dans l’ancien ; 27 ans si c’est dans le neuf). En début d’année 2022, on pouvait emprunter un peu plus de 240 000 euros, avec une assurance aux alentours de 0,30. En début d’année 2023, on ne peut emprunter que 210 000 euros. On est quasiment sur 15 % de baisse de capacité d’emprunt, ce qui n’est pas complètement négligeable », développe Ludovic Huzieux.

Dans les faits, le courtier évoque l’accroissement de la durée de négociation des dossiers de crédits et l’application de la stratégie du « stop and go » pour contrecarrer l’effet ciseau du taux d’usure (NDLR : taux maximum au-delà duquel les banques ne peuvent pas prêter), actuellement de 3,57 % pour un crédit de plus de 20 ans, et de la remontée des taux d’emprunt : « on remettait dans le circuit des dossiers qui étaient bloqués. (…)  La mensualisation prochaine du taux d’usure (NDLR : actuellement le taux est fixé pour un trimestre) est une bonne nouvelle ». Selon Ludovic Huzieux, ce seraient environ 20 % des dossiers qui auraient été bloqués (28 à 30 % en région parisienne), victimes du taux d’usure, ce qui explique pourquoi certains emprunteurs n’ont pas hésité à délocaliser leur demande de prêt, avec le concours du courtier. En outre, il attire l’attention des acquéreurs-emprunteurs : « La seule chose qui peut faire passer du bon côté de l’usure un dossier c’est de jouer sur l’assurance emprunteur, de recourir à une délégation d’assurance. En fonction de l’âge, de la profession, de l’état de santé de l’emprunteur, le taux d’assurance peut être divisé par deux ». 

Le devenir incertain des investisseurs

Les investisseurs n’ont pas été épargnés par les turbulences que subit le marché de l’immobilier. « Les investisseurs sont les plus sensibles aux mouvements de marché, aux données économiques. Même avec une inflation proche de 6 %, les investissements restent, en théorie, rentables. (…) Mais je ne suis pas sûr que le contexte d’aujourd’hui soit très favorable à l’investissement dans l’immobilier. (…)  Il y a le problème du rendement. (…) Beaucoup de villes ont pris l’option du plafonnement des loyers, l’IRL est plafonné, les conditions d’accès aux crédits se sont durcies et l’apport personnel qu’il faut consacrer à l’investissement a augmenté. (…) On peut facilement imaginer que cette population va en partie quitter notre marché », estime Charles Marinakis, qui souligne que le livret A leur assure un rendement de 3 %.

Ludovic Huzieux se veut plus optimiste, même s’il constate que l’investissement locatif a été divisé par deux : « Cela fait trois ans que l’on est entre 10 et 12 % alors que les dix premières années on était toujours entre 18 et 22%. (…) Mais je crois profondément qu’il y a de l’autocensure. Les investisseurs s’écartent d’eux-mêmes, et c’est bien dommage car on a un taux de refus qui est plus faible sur les dossiers que l’on présente en locatif ». Reste à savoir quand les investisseurs oseront à nouveau.