Nov 06

« Loi Climat Résilience : et si le prix des logements baissait ? », mardi 16 novembre 2021 à 18h

Le constat

Les 2/3 du parc français de logements vont devoir faire l’objet de travaux de rénovation environnementale dans les dix années qui viennent: c’est la feuille de route que constitue la nouvelle loi Climat Résilience. Pour les propriétaires bailleurs, des obligations de vertu énergétique pour avoir le droit de louer, et pour les copropriétaires des incitations fortes.

Le diagnostic de performance énergétique (DPE), dont la valeur juridique est renforcée, ne va-t-il pas devenir un élément crucial de la décision d’achat d’un logement? La qualité énergétique ne va-t-elle pas installer des standards de prix, les logements les moins performants étant dévalorisés? Les marchés les plus tendus, où la demande est soutenue, échapperont-ils à cette logique si elle s’impose?Déjà, des banques refusent de prêter à des acquéreurs de passoires énergétiques, empêchant de fait leur achat et compromettant la liquidité des biens concernés. Plus généralement, les établissements financiers travaillent à des offres groupées pour le logement et l’enveloppe de travaux nécessaires à sa mise à niveau technique…mais sur la base d’une solvabilité contrainte et limitée des emprunteurs, qui risque de peser sur le prix des biens. 

Pour anticiper ces effets, des experts de l’exploitation des données de marché, ainsi que des professionnels de l’évaluation et de la transaction. Et si l’impact inattendu de la transition environnementale était la correction des prix à la baisse de la plupart des logements? Va-t-on vers une nouvelle hiérarchie des valeurs, moins dépendante de la localisation ou des prestations, et davantage indexée sur les caractéristiques technologiques?

Un débat organisé le mardi 16 novembre 2021 de 18h à 19h30.

Cette conférence du Cercle des Managers de l’Immobilier est organisée à l’initiative de Benjamin Darmouni, président du Cercle des Managers de l’Immobilier, François-Emmanuel Borrel et Evelyne Vivier, présidents adjoints du Cercle, et Emily Jousset, présidente du pôle Communication du Cercle.

Elle est animée par Henry Buzy-Cazaux, Président de l’Institut du Management des Services Immobiliers et secrétaire général du Cercle.

Les intervenants

Frédéric Violeau
Notaire, représentant le Conseil Supérieur du notariat au Conseil National de l’Habitat
Séverine AMATE
Directrice de la communication et des relations institutionnelles du groupe SeLoger
Stéphane Imowicz
Président d’Ikory, expert immobilier, MRICS
Thomas Lefèvre
Vice-président data et science chez MeilleursAgents

La synthèse

Avec le vote de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021, les Français se sont vu imposer un certains nombres de mesures coercitives. Pour rappel, afin d’éradiquer les « passoires thermiques »,  dès 2022, les propriétaires bailleurs de logements classés G devront procéder à des travaux de rénovation énergétique s’ils souhaitent augmenter leur revenu locatif. A défaut, en 2025, ces mêmes biens ne pourront plus être proposés à la location. En 2028, ce sera au tour des logements classés F puis, en 2034, de ceux étiquetés E. Les propriétaires vendeurs d’une maison individuelle ou d’un immeuble détenu en mono-propriété sont aussi concernés : dès 2022, la cession de biens classés F à G devront avoir fait l’objet d’un audit énergétique. Ce dernier devra formuler des propositions de travaux, mentionner à titre indicatif l’impact théorique des travaux proposés sur la facture d’énergie, et sera remis par le vendeur à l’acquéreur potentiel. Cette obligation s’étendra en 2025 aux immeubles de classe E et, en 2034, à ceux classés D. Si la loi « Climat et résilience » a renforcé la valeur juridique du diagnostic de performance énergétique (DPE), le texte semble avoir ajouté un paramètre à ceux déjà existants à prendre en considération en cas d’achat d’un bien immobilier dans le but de l’habiter ou de le louer. Pour autant ces obligations confèrent-elles une valeur verte aux biens, mesurable dès à présent ? Ce paramètre aura-t-il la même intensité sur tout le territoire ? Mais avant d’apporter des premiers éléments de réponse, il est important de mesurer la confiance des Français dans ce nouveau paramètre.

La position des Français face à la valeur verte

Selon l’Observatoire du Moral Immobilier du groupe Seloger, publié en mai 2021, neuf acheteurs sur dix considèrent la performance énergétique comme un critère important. « Un élément qui entre de plus en plus en ligne de compte et qui est particulièrement vrai pour les acheteurs CSP – », révèle Séverine Amate, directrice des relations médias et publiques du groupe SeLoger. 80 % des porteurs de projets s’intéresseraient au DPE avant de visiter un bien et 91 % considèrent qu’il s’agit d’un levier de négociation. De fait, la valeur verte d’un bien est-elle déjà quantifiée ?

Les prémices d’une valeur verte

« Est-ce que l’on peut mesurer la plus-value apporté à un bien, tous paramètres étant égaux par ailleurs, selon que sa performance énergétique serait affichée supérieure ou inférieure à la moyenne, la moyenne étant la classe D (dans l’ancienne nomenclature d’avant le 1er juillet 2021) qui représente environ 40 % du marché dans l’ancien ? », interroge Frédéric Violeau, notaire à Caen, représentant le Conseil supérieur du notariat au Conseil national de l’habitat. « La réponse est oui, bien évidement. Avec des écarts qui vont varier de 0 à 15-20 %, on  a un panel de plus-value relativement vaste. On va faire le même constat dans le sens inverse, c’est-à-dire que pour des logements qui vont être en catégorie moindre (classes E, F et G), on aura des diminutions de valeur qui peuvent dépasser les 20 % », constate le notaire. Toutefois, il estime qu’il ne faut pas répondre à la question de manière si radicale : « Il ne faut pas oublier qu’à travers le prisme de l’affichage de la performance énergétique c’est, en réalité, l’état général du logement qui est pris en compte. On imagine assez mal qu’un propriétaire procède à des travaux de rénovation énergétique importants de son logement sans accompagner ces travaux d’une amélioration globale du bien. Il serait un peu réducteur de dire que la plus-value est uniquement corrélée à la performance énergétique affichée du logement. Mais le lien est évident. » L’impact de la qualité énergétique sur la valeur du bien est aussi nuancé par les résultats d’une étude du groupe SeLoger réalisée dans 40 villes de plus de 100 000 habitants : «  On a analysé l’ensemble des prix de mise sur le marché des biens (maisons et appartements, toutes superficies confondues) sur la période janvier à  septembre 2021 par rapport à la même période en 2020. On a cherché à savoir si un bien classé G était moins cher qu’un bien classé A : c’est effectivement le cas sur 17 des 40 villes analysées. Pour 9 villes des 17 analysées, l’écart de prix entre les biens G et A est supérieur à 15 %. C’est le cas à Grenoble (prix 17 % moins chers), Montpellier (baisse de 22 % constatée), Nice (15 %), Marseille (23 %). Sur ces 17 villes, deux ont un écart qui dépasse la barre des 50 % : Le Havre (54 %) et Nîmes (53%) », rapporte Séverine Amate. Toutefois, un bien de classe G ne semble pas systématiquement vendu moins cher qu’un bien affiché A. « A Paris, un bien de classe G apparaît à 11 800 euros le m2, quand un bien classé A est à 11 500 euros. C’est aussi le cas à : Aix, Argenteuil, Bordeaux, Dijon, Lille, Nantes, Strasbourg. On pourrait s’attendre à ce que les biens classés G, plus énergivores, soient moins chers que les biens classés F. L’étude nous dit que c’est faux. Dans une grande partie des villes étudiées, les biens de classe F sont moins chers que les biens classés G. C’est le cas à : Aix, Montreuil et Lyon, notamment. C’est toutefois vrai pour trois villes : Boulogne-Billancourt, un bien de classe F est affiché à 9 600 euros du m2 alors qu’un bien classé G l’est à 8 000 euros du m2. Egalement au Havre et à Orléans », expose Mme Amate. Mais comment expliquer que les biens les moins bien classés puissent être affichés plus chers que ceux mieux classés ?

L’effet variable de la valeur verte selon la situation géographique et les caractéristiques du bien

Est-ce qu’il y aura une segmentation entre les immeubles ? Est-ce qu’un bien classé G ou F sera plus ou moins cher selon sa situation géographique ? Selon Frédéric Moreau : «La tension foncière va être un frein à une mesure effective de cette performance énergétique. Concrètement, quand on est en Ile-de-France ou Paris intra-muros, on n’a pas beaucoup de choix sur le logement. Si l’on arrive à avoir une performance énergétique intéressante bien entendu, on va pouvoir effectuer un choix plus éclairé mais l’on n’a pas toujours cette option-là ». Et Séverine Amate de confirmer que concernant les délais de disponibilité des biens mis en ligne, il faut compter à Paris 19 jours pour un bien classé A et 20 jours pour un bien classé G alors, qu’en général, le délai pour un bien G est deux fois plus important que pour les biens de classe A (par exemple : 18 jours pour un bien classé A situé à Toulouse et 48 jours pour un bien affiché G).

Pour Stéphane Imowicz, président d’Ikory, expert immobilier, MRICS, « Le raisonnement est encore un peu artificiel parce que cela va dépendre d’abord de la qualité des immeubles, des dates de construction. Sandrine Amate a cité des villes avec une construction des années 60-70 qui entraînent un coût de rénovation énergétique plus élevé. (…) Un immeuble haussmannien aujourd’hui  a toujours une performance énergétique supérieure à un immeuble construit en 1950-1960 ». L’expert immobilier relève que pour certaines catégories d’immeubles anciens, comme les haussmanniens, la rénovation énergétique se limitera à une action sur la couverture, les fenêtres et le chauffage : «  on ne pourra pas doubler les façades sur l’extérieur ni doubler l’intérieur des appartements. Dans certains cas, ils peuvent être protégés, avec des plafonds particuliers, etc. (…) Il faudra que les architectes des bâtiments de France  prennent d’autres mesures ». Pour Thomas Lefèvre, vice-président data et science chez MeilleursAgents, les propriétés d’un immeuble vont supplanter son mauvais classement énergétique : « Même si on est sur un logement qui a une étiquette de DPE très mauvaise, la décote va être minime parce que l’on a une prime d’être dans un haussmannien. La décote d’habiter dans un haussmannien classé G est finalement la même que d’habiter dans un logement des années 1980 avec une étiquette énergétique tout à fait correcte. Ce qui montre que, certes, il y a des effets mais lorsque l’on retient l’ensemble des caractéristiques de détermination du prix d’un logement, la valeur énergétique demeure encore aujourd’hui assez marginale ».

Frédéric Moreau souligne, en outre, que la performance énergétique aura plus d’impact dans les régions où le besoin de se chauffer est plus important. Il en sera de même dans le cadre de l’achat d’une maison individuelle puisque la dépense de chauffage est plus importante que pour un appartement : « Dans quelques années, on regardera très précisément le mode de production de chauffage puisque l’utilisation des énergies fossiles va peu à peu devenir un problème. (…) La tension foncière ne va pas amener les personnes à acheter n’importe quoi et ne va pas les empêcher, dès lors qu’on n’est pas sur un marché en surchauffe, de projeter finalement dans l’offre de prix le coût de la rénovation énergétique, d’autant plus que l’on aura des exigences de plus en plus comminatoires ».

Ainsi, la localisation et les caractéristiques du bien restent un paramètre important, notamment en zone rurale ou dans les secteurs tendus où l’impact de la réglementation est aujourd’hui peu prégnant. Cependant, Stéphane Imowicz alerte : « S’il risque dans le futur de se distinguer,  ce n’est pas encore véritablement un point d’accroche. (…) Il y aura inévitablement des modifications et une segmentation des valeurs en fonction des catégories mais cela se verra sur un délai plus long. (…) Toutefois, la manière coercitive telle que programmée par la loi risque d’accélérer le mouvement. Aujourd’hui je pense que les gens se disent que tout cela risque d’être aménagé et qu’il est urgent d’attendre. Je pense qu’ils ont tort ». Si certains semblent espérer que le gouvernement revienne sur le texte de loi, d’autres ont déjà mesuré l’impact d’une telle réglementation.  

La vigilance des institutionnels et de certains particuliers

Pour Stéphane Imowicz, la vision des investisseurs institutionnels est plus précise sur ces paramètres que celles des particuliers : « Quand on commercialise les immeubles anciens en toute propriété, les nouveaux investisseurs profitent de deux éléments : l’usage de l’immeuble résidentiel, avec la possibilité ou non de mieux l’aménager pour qu’il corresponde aux usages actuels des personnes qui vont y vivre ; les mises aux normes qui permettent des économies d’énergies et le respect de l’environnement ». Dans le neuf, l’expert immobilier confirme que les institutionnels s’intéressent en majorité à ces valeurs dans le but se doter d’un capital vertueux : « Tous les aspects ESG (NDLR : enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont très importants et inévitablement ils sont très sensibilisés à la qualité environnementale des immeubles, à l’emplacement. A titre d’exemple, aujourd’hui, lorsque l’on vend un immeuble à un institutionnel, il ne se contente plus d’avoir la norme RT2012. La norme RE2020 n’est pas encore applicable mais, dans tous les cas, s’ils achètent un immeuble neuf, il faut qu’il soit RT2012 et -10 ou -20 % moins cher. Et il n’est pas question d’acheter un immeuble s’il ne répond qu’à la norme RT2012. Ils sont prêts, pour une question d’image et de notoriété, à payer plus cher pour répondre aux normes actuelles ».


Les particuliers, quant à eux, seront confrontés à la résistance de certains copropriétaires à voter des travaux d’économie d’énergie dans les parties communes d’un immeuble, notamment dans l’ancien. Dans le neuf, cela devrait être facilité puisque les immeubles répondent déjà aux normes, ou s’en rapprochent. Mais pour Thomas Lefèvre, tout va dépendre du mode d’exécution de cette transformation énergétique et des moyens qui seront mis en place pour la faciliter : « L’Etat est motivé pour cette transformation énergétique, il y a pléthore d’aides qui existent (MaPrimeRénov’, les certificats d’économie d’énergie, les prêts et les aides garantis par les collectivités) mais, en pratique, ce n’est pas très clair et cela va dépendre du statut des ménages, de leurs revenus, des modalités d’occupation du logement, etc. Pour projeter les ménages dans cette transition énergétique, il y a un intérêt réel à simplifier les différents parcours ». Et de fait, les mesures phares ne semblent pas être connues par les propriétaires bailleurs ou occupants qui, pour certains, ne se considérant pas éligibles aux aides ou trop âgés pour obtenir un crédit, ont contribué à la vague déferlante de mise en vente de biens classés E, F et G : « Dans 23 des 40 villes analysées, on constate une progression de mise sur le marché à deux chiffres. Rennes arrive en tête avec la plus forte des évolutions entre septembre 2020 et octobre 2021 : le nombre de biens classés EFG est passé à +74 %. A Paris : + 72 % ; à Nantes : + 70 % ; à Lille : + 41 % ; à Lyon : +  43 % et à Bordeaux : + 27 %. Aux côtés de ces métropoles, il y a des villes dites “ de report ” où l’on constate le même phénomène : à Boulogne-Billancourt : +38 % ; à Villeurbanne +32 % ; à Argenteuil plus : + 56 % », décrit Séverine Amate. Cette dernière rappelle que, selon, le rapport Sichel de mars 2021, la moitié de ces passoires énergétiques seraient des maisons individuelles : « En termes de travaux ce sont des biens qui nécessitent la plus grande enveloppe. Donc si l’on corrèle la plus grande enveloppe, le fait que cela vise une population un peu plus avancée dans l’âge qui ne sera pas à même d’être écoutée et suivie par les banques, cela peut traduire cette montée en puissance du dépôt d’annonces ». Les difficultés d’accès au financement étant ainsi dénoncées, il est intéressant d’examiner l’attitude des banques dans ce domaine.

La valeur verte : le nouveau critère d’obtention d’un prêt bancaire ?  

La rénovation énergétique aura un coût tant pour les futurs acquéreurs que pour les propriétaires bailleurs. « La problématique du classement  des logements, c’est aussi une problématique d’investissement global. L’investisseur va regarder le logement, les travaux à réaliser pour atteindre une classification qui soit acceptable. Il va embarquer les travaux de transition énergétique dans les travaux d’amélioration du logement qu’il doit envisager. Il devra donc provisionner un peu plus », explique Stéphane Imowicz. Certes, les propriétaires bailleurs pourront jouer sur la fiscalité et le déficit foncier lorsqu’ils mettront aux normes leurs biens pour bénéficier d’un revenu locatif plus favorable et d’un logement plus économe. Malheureusement,  certains  acheteurs risquent de voir leur budget prévisionnel d’acquisition s’envoler en même temps que toute possibilité d’obtenir un prêt : « Les ménages les plus fragiles seront les plus impactés. Ils s’intéressent aux biens les moins chers, qui ne répondront pas aux normes. Cela va accentuer leurs difficultés d’accès  au crédit », dénonce l’expert immobilier. Fort heureusement, Frédéric Moreau n’a pas encore constater à ce jour un refus de prêt motivé par le fait que le logement était trop énergivore : « Mais on commence à mesurer ces choses-là. Celui qui s’orientera vers un logement non performant, n’échappera pas au contrôle de sa banque. On n’imagine pas qu’un banquier finance un investissement locatif alors que l’emprunteur ne pourra bientôt plus louer. Cela n’a pas de sens ». Et lorsque Henry Buzy-Casaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, lui fait remarquer que le prêt est personnel et non réel, le notaire de Caen souligne qu’on luidemande de fournir avec la copie de la promesse de vente celle du diagnostic de performance énergétique : « Cela devient petit à petit un paramètre du financement. Et même si la banque n’exige pas systématiquement une garantie réelle de type hypothécaire sur le bien qu’elle finance, elle  est soucieuse que sa créance soit plus ou moins corrélée à son gage potentiel. Quand le marché est très haussier, on ne peut pas présager de l’évolution des prix. Le gage doit être représentatif de la créance de la banque à court et à long terme ». Notons que si certaines banques se seraient engagées à garantir des prêts pour la rénovation énergétique à destination de biens pour les ménages les plus modestes, d’autres ont déjà vu dans le fait d’accorder un prêt un  faire-valoir efficace en terme de démarche RSE.